Ceci est la transcription textuelle de l’épisode n° 20 du podcast « Réserve Créative » disponible sur ta plateforme d’écoute préférée.

Épisode enregistré le 06/11/2023 et diffusé le 04/01/2024.

Les partenaires

Introduction

— Laurent : Parce qu’on est toutes et tous créatifs à notre façon, Réserve Créative questionne la notion de créativité et explore la diversité créative.

Hello, je suis Laurent, et ce podcast est ma quête pour comprendre ce qu’est la créativité.

Pour ce premier épisode de 2024, je te fais découvrir l’univers brut et sincère d’Ares Fael. Ares est un créatif polyvalent qui essaye, tant bien que mal, de vivre de sa créativité. Elle le porte constamment, y compris dans les nombreux coups durs qu’il a traversés.

Voici un aperçu des nombreux sujets qu’on aborde : sa vision de la créativité, dans laquelle la curiosité tient une place centrale, l’importance de l’expérimentation et l’art de se foutre du jugement des autres. Il raconte aussi comment la créativité l’a sauvé en l’empêchant de sombrer dans les drogues et l’alcool, et dévoile les coulisses de l’industrie musicale quand on est un petit artiste sans réseau. Enfin, il partage trois conseils pour faire émerger puis exprimer sa créativité, et surtout, pour rester créatif.

Comme tu le découvriras, Ares parle avec ses tripes, et j’ai été surpris par certaines de ses réponses.

Bonne lecture.

Portrait d’Ares Fael

Présentation d’Ares

— Laurent : Salut Arès, bienvenue sur le podcast ! Je commence par une petite question pour te mettre dans le bain : comment se porte ta créativité aujourd’hui ?

— Ares : C’est à elle qu’il faut le demander, c’est elle qui me porte au quotidien 🙂

Ça va toujours, et c’est ce qui est bien : quand ça ne va pas, la créativité permet de surmonter beaucoup de choses. C’est un driver. Même quand ça ne va pas, si j’en fais quelque chose de créatif, ça va mieux !

— Laurent : Je ne m’attendais pas à ta réponse, ça commence bien 🙂
Que réponds-tu quand on te demande ce que tu fais dans la vie ?

— Ares : Souvent, à cette question, les gens s’attendent à ce que tu leur dises dans quoi tu bosses, comment tu fais ton argent…

J’essaie de répondre le plus clairement possible, et avec le temps, j’ai appris à synthétiser pour aller à l’essentiel : dans la vie, j’essaie de vivre de ma créativité et de la partager au maximum pour que ça serve à qui en a besoin. C’est mon moyen de communication, et ce qui me porte au quotidien. La simple quête d’essayer d’en vivre, c’est déjà pas mal, je trouve !

— Laurent : C’est clair ! Comment ça se matérialise concrètement ?

— Ares : Je propose mes services de direction artistique, ça regroupe tout ce que je sais faire : de l’identité visuelle, du personnal branding, de la création de marque, de logos, du graphisme, de la photo, et de la musique, ou plutôt du contenu sonore.

— Laurent : Tu définis les orientations et d’autres personnes font, ou tu fais tout ?

— Ares : Je n’ai pas encore atteint le stade auquel je peux déléguer, j’ai les mains dans le cambouis en permanence. Pour l’instant, c’est ce que j’aime ! À terme, j’aimerais pouvoir déléguer.

 — Laurent : Il me semblait que la direction artistique se situait en amont et donnait les indications…  

— Ares : Idéalement, c’est ça. Quand tu as suffisamment fait tes armes, tu chapeautes et délègues à des gens qui vont faire les choses comme tu l’entends. C’est un peu comme un réalisateur qui checke que la personne derrière la caméra fait bien son taf.

Pour l’instant, j’aime ce rapport direct avec ce que je suis en train de faire.

— Laurent : Tu as toujours fait ce métier ?

— Ares : Non, mais j’ai toujours créé.

Quand tu es gamin, on te fait comprendre que tout ce qui est artistique, ce ne sont pas vraiment des métiers. Pour peu que ton cadre familial ou ton environnement ne soient pas propices, tu l’intègres vite comme une vérité. Alors que c’est une connerie : ce sont de vrais métiers.

Malgré tout, j’ai toujours essayé de trouver des boulots dans lesquels je suis payé pour créer. Ça n’a pas toujours été facile, mais c’est ma quête depuis le début. J’ai eu plus de mauvaises surprises que de bonnes, et j’ai fait beaucoup de choses différentes.

J’aurais aimé, dès le début, pouvoir me lancer dans des métiers créatifs de manière sereine. Sauf que ça ne peut pas toujours fonctionner comme ça : il faut faire ses armes, apprendre, avoir des relations, souvent…

Par exemple, si tu étudies trois ans dans une école de son, que tu obtiens mon diplôme, parmi les meilleurs de ta promo… à la fin, si ton père ne connaît personne, tu feras la queue comme tout le monde ! Il y a plus de diplômés que de besoins dans les studios, l’aventure s’arrête là.

— Laurent : Tu as fait des études spécialisées dans le son avant de te diversifier ?

— Ares : J’ai toujours été polyvalent, mais il m’a fallu du temps pour comprendre ce qui m’animait vraiment, et pour le mettre en place.

J’ai fait un Bac ST Arts appliqués. Pour ça, juste après le collège, je suis parti en internat à deux heures de chez moi. Pendant trois ans, on a fait un peu de tout : du design d’espace, de la communication, on est sensibilisés à la créativité en tant que métier.

Après mon Bac, j’ai fait une école d’art à Paris. J’ai été accepté dans toutes les écoles auxquelles j’avais postulé, et comme un couillon, j’ai choisi d’aller dans celle qui ressemblait le plus à Poudlard 🙂 C’était une pure connerie : sans être une mauvaise école, ce n’était pas le meilleur choix par rapport à ce que je voulais faire.

Ensuite, j’ai bossé avec un architecte, puis chez Ikea. Je ne te cache pas que c’était plutôt un plan « de secours », parce qu’il faut bien payer le loyer.

Soit on reste au RSA sur le canapé en attendant que ça tombe par magie, soit on met des choses en place. C’était un poste en visual merchandising, dans les bureaux, pour concevoir les ambiances, comment les aménager. Il y avait aussi du bricolage, on montait aussi les choses…

J’ai appris beaucoup de choses, pas forcément ce que j’avais envie d’apprendre, mais c’était très formateur ! J’ai notamment appris où je ne voulais plus aller 🙂

Malheureusement, il faut le vivre un peu dans la douleur, c’est un passage obligatoire. Sur le moment, tu ne le vis pas comme ça, mais avec le temps, tu finis par réaliser tout ce que tu y as appris. C’est en mettant le pied dans un gros groupe comme celui-là que tu comprends ce que c’est.

Aujourd’hui, sur LinkedIn, je prône des valeurs « auto-entrepreneuriales ». Ça ne veut pas forcément dire que je crache sur le salariat. Mais grâce à ce genre d’expérience, je sais pourquoi je n’y remettrai plus jamais les pieds.

Sa vision de la créativité

— Laurent : Quelle est ta vision de la créativité ?

— Ares : Déjà, je sais ce que ce n’est pas.

Beaucoup de gens pensent, à tort, que la créativité, c’est être artiste, savoir chanter, savoir dessiner, entretenir un rapport avec un milieu artistique, avoir des compétences là-dedans…

Pourtant, il n’y a rien d’artistique là-dedans !

Par exemple, un chirurgien se rendant compte, en pleine opération, qu’il y a une complication, va devoir faire preuve de créativité. Certes, il possède des connaissances et ne fait pas n’importe quoi. Mais sa capacité à « improviser » face à des éléments nouveaux, alors qu’aucun livre ne lui livre le plan B, c’est de la créativité.

Quand on bricole, qu’un truc est pété, si on n’a pas l’outil pour le réparer, on prend un bout de quelque chose… c’est encore de la créativité. Dans l’Histoire, il y a même des stratèges qui ont fait preuve de créativité !

Ça n’a rien à voir avec le fait d’être artiste. C’est surtout la disposition à créer des liens entre des éléments qui ne sont pas liés.

On s’en rend mieux compte en évoluant dans le milieu créatif. Par exemple, une idée émerge parce qu’on a tissé des liens narratifs entre des informations qui, pour des personnes ne se pensant pas créatives, n’étaient pas liées.

— Laurent : C’est la thèse que je défends avec ce podcast : la créativité ne se limite pas aux domaines artistiques.

Quand une personne, dans le domaine artistique, a une super idée, on est tous ébahis : « c’est une idée de génie ! ».

Mais elle n’est pas arrivée toute seule : elle découle de connaissances, d’une façon de penser, d’utiliser nos ressources cérébrales pour la générer. Même si elle semble être apparue de nulle part, un matin, en réalité, elle traînait dans l’inconscient depuis des semaines !

— Ares : Exactement, ce n’est jamais de l’impro !

Pour autant, on ne naît pas tous avec le bundle « Cadeau ! Tu es créatif ! ». C’est quelque chose qui se développe et tout le monde peut le faire, il existe des outils. Il y a aussi une notion de mindset.

Si, depuis que tu es tout petit, tu oses tester, faire des choses, et même te planter, progressivement, ton cerveau comprend le chemin à emprunter pour contourner des problèmes simples, là où la plupart des gens se sentiraient bloqués.

— Laurent : La créativité n’est donc pas innée selon toi ?

— Ares : Non, ça serait mentir ! On naît avec des prédispositions.

J’irai même plus loin : c’est seulement si on naît avec des prédispositions à la curiosité qu’on devient créatif. Sans curiosité, pas de créativité. C’est impossible !

Si tu ne te contentes pas de ce que tu connais, de ce que tu as acquis, et que tu autorises ton cerveau à tester des choses, et même à se planter, il s’habitue.

Si tu mets un violon dans les mains d’un enfant de cinq ans, il ne saura pas jouer dès de début. Il faut qu’il se plante, qu’il teste des choses et qu’il apprenne. Il existe un pattern d’apprentissage et aussi un pattern de curiosité.

Toutes celles et ceux qui ont développé de nouveaux styles, des tendances, des nouveaux genres, en musique ou même en sciences, sont forcément passés par un moment où personne ne l’avait fait. Mais ils se sont inspirés d’un truc, d’un autre… les ont mélangés !

— Laurent : On dit pourtant souvent que les enfants sont hyper créatifs, justement parce qu’ils sont curieux de tout.

C’est plus inconscient chez eux, plus spontané. Un enfant de cinq ans ne saura pas jouer du violon, par contre, il va inventer quelque chose à faire avec. On est à la frontière du jeu et de la créativité.  

Je te rejoins sur le fait que la créativité n’est pas génétique ni innée ! Mais elle a quelque chose de spontané.

— Ares : La différence, selon moi, réside dans le fait qu’on s’est autorisé à tester. Si on dit à notre enfant de cinq ans, avec son violon dans les mains, qu’il doit jouer de telle façon, il ne va pas s’autoriser à faire autrement. Tandis que si tu le laisses s’amuser, sans interdit, sans limites, il va peut-être l’utiliser de façon détournée.

C’est la même chose avec le dessin. Si tu demandes à une personne ne sachant pas dessiner de dessiner quelque chose de précis, elle va poser le crayon en disant « Je ne sais pas dessiner ». Alors que si tu lui donnes un crayon et que tu lui dis « Éclate-toi, fais n’importe quoi ! », elle va probablement faire des trucs.

— Laurent : En lien avec ce que tu dis, le « test du trombone » est assez connu : on donne un trombone à des personnes de différents âges avec pour consigne de trouver un maximum d’usages à cet objet. Un enfant de moins de cinq ans va en trouver des centaines, tandis que les personnes, en vieillissant, en trouvent de moins en moins.

— Ares : Ça ne m’étonne pas ! Je suis même persuadé que la dernière utilisation que l’enfant va imaginer, c’est celle d’attacher deux feuilles ensemble 🙂

La créativité pour refuge

— Laurent : À propos d’enfance, quel était ton rapport à la créativité lorsque tu étais enfant ? Comment s’exprimait-elle ?

 — Ares : Sans entrer dans les détails, je dirais que sans l’enfance de merde que j’ai eu, je n’aurais probablement pas été créatif.

La réalité était le dernier endroit dans lequel j’avais envie de me trouver.

J’étais bien quand je montais dans ma piaule : je construisais des trucs, j’écoutais de la musique jusqu’à 3 heures du matin, je dessinais… J’ai même dessiné sur mes murs.

Dans une vie plus simple, plus agréable, avec moins de difficultés, je n’aurais sûrement pas été aussi créatif.

C’était le merdier dehors ? Pas de problème : quand je monte dans ma tête, dans mon monde, j’ai le droit d’exister, je n’ai pas d’interdit, il n’y pas une merde. Je pense que c’est le cas pour beaucoup de personnes créatives : elles se sont créé un monde parce que dehors, c’était pas ouf.

— Laurent : Viens-tu d’un milieu créatif ?

— Ares : Pas du tout, à part des grands cousins qui faisaient un peu de zik, c’est tout.

— Laurent : Tu la vivais en cachette ou tu étais encouragé par tes parents ?

— Ares : Un peu des deux.

En cachette, car à 3 heures du matin, quand tu as 12 ans et que tu as école le lendemain, tu n’es pas censé jouer aux Lego. Pareil pour le dessin, la guitare, arrivée plus tard. En cours, aussi, je dessinais, alors que je n’étais pas censé !

En revanche, j’ai peu joué aux jeux vidéo, seulement un peu avec des potes. J’éprouvais beaucoup plus de plaisir à me retrouver seul, à créer des trucs, à construire des machins, à faire des plans de sous-marins qui ne verront jamais le jour.

Ensuite, même si j’ai quand même fait mes études là-dedans, je ressentais la pression de mes parents qui disaient que « la musique ce n’est pas un vrai métier ». Il fallait trouver autre chose. Passer par Arts appliqués m’a aidé à légitimer tout ça. Quand tu aimes dessiner, quand tu aimes la création, il faut trouver quelque chose, comme architecte…

Sans particulièrement d’interdit, je n’étais pas vraiment encouragé. Quand je faisais des gros trucs, il n’y avait pas non plus grand monde pour me soutenir. Mon cadre familial n’étant pas créatif, c’est un langage que je parlais tout seul, ça m’a isolé.

— Laurent : Tu évoques la fuite comme une origine de ta créativité. Pourtant, on peut fuir d’autres façons… Qu’est-ce qui t’a amené vers cet imaginaire ?

— Ares : La curiosité, c’est ce que tu mets en place pour aller plus loin, tandis que la fuite, c’est une chose que tu es obligé de faire. Le troisième élément dans l’équation, c’est l’environnement que tu choisis de consommer.

J’ai toujours adoré Harry Potter, Le Seigneur des anneaux, l’histoire, l’histoire de l’art, les histoires tout court… J’ai toujours adoré les histoires, ce sont des petits environnements magiques.

Tu es toujours un peu dégoûté d’en sortir, quand tu finis un livre, un film… Ton imaginaire s’en nourrit, c’est ton inspiration principale, la matière première.

Révéler la créativité des autres

— Laurent : En préparant l’épisode, tu me disais que tu ressentais le besoin de révéler la créativité chez les autres. Qu’est-ce que tu entends par là ?

— Ares : Ça me fait mal quand j’entends affirmer sans honte que tout le monde n’est pas créatif.

On n’est pas tous forcément faits pour être créatifs tous les jours, c’est vrai. Je n’aime pas non plus la vision des créatifs comme des gens complètement barrés, ou forcément artistes. Comme je le disais tout à l’heure, des stratèges dans l’Histoire se sont révélés hyper créatifs dans leur vie, sans que ça soit leur métier.

J’ai expérimenté le pouvoir de la créativité sur mon chemin de vie, dans la douleur et dans le kiff. C’est un truc de fou : ça m’a sauvé, ça m’a évité de tomber dans la drogue, ou dans des choses plus graves. J’ai eu des milliers de tentations dans ma vie, des moments où j’ai eu envie de partir en couille.

Selon ton environnement, ton état d’esprit, tu peux faire de très mauvais choix. Je revenais toujours à :

Rappelle-toi : si tu fais ça, que ça finit mal, tu ne pourras plus faire de musique, tu ne dessineras plus…

Même si ça peut paraître extrême.

Pourtant, on éteint vite la créativité. On est content quand on a un gamin super créatif, « il est en avance »…

Et puis, il grandit, et on lui dit que « la musique, ce n’est pas un métier ». Il est hyperactif, ça devient chiant ? Mais non, tu rigoles ! Il a cinq ans, et il est plus authentique que toi !

Aujourd’hui, tout le monde se revendique un peu créa, je tombe rarement sur un truc qui me scotche vraiment. Le problème, c’est qu’on ne le fait pas correctement, on ne le fait pas à fond, on ne s’autorise pas vraiment.

C’est aussi une de mes quêtes personnelles, ma vision, et je conçois qu’on puisse ne pas la partager. Mais la Terre existe depuis des millions d’années, les humains aussi, et nous sommes huit milliards sur la planète. Toi, tu vas arriver sur Terre, apprendre des trucs quand tu es petit, trouver un boulot, bosser du matin jusqu’au soir, peut-être fonder une famille, et un jour, tu vas t’éteindre. Terminé, bonne nuit, au revoir !

Qu’est-ce que tu as laissé ? Qu’est-ce qui reste de tout ça ? Tu as survécu toute ta vie, tu as trouvé un moyen de te nourrir, tu t’es un peu reproduit pour perdurer, mais c’est tout.

Évidemment, on ne se souviendra plus de tout ce qu’on fait, même le plus grand des génies de la planète, dans des millions d’années. Donc ce n’est pas important d’essayer d’aller un peu plus loin que tout ça ? Il n’y a que la créativité, les idées, les choses qu’on développe, les solutions, qui nous le permettent. Sinon, tu es juste un animal.

On tue des animaux parce qu’on est, askip, les plus intelligents. Mais qu’est-ce qu’on en fait, si on passe toute notre vie à bosser pour un patron plus couillon que nous, pour mille deux, à survivre et à ne rien avoir proposé sur la planète ? Tu es juste un animal de plus, frérot !

Ça m’emmerde un peu, j’ai envie de trouver un moyen de laisser une trace de ma vision, et ce n’est pas grave si tout le monde n’y adhère pas. On a le pouvoir de faire ça ! Les hommes préhistoriques qui écrivaient sur les parois des cavernes avaient déjà commencé à faire ça, à s’exprimer de cette façon.

— Laurent : Tu n’es pas le premier à me parler d’héritage. Dans un précédent épisode, Robin Azema se posait la question de ce qu’il laisserait à ses enfants.

— Ares : Oui, et imagine toutes les émotions qu’un humain peut ressentir au cours de sa vie ! La puissance du truc ! Il faut en faire quelque chose, sinon c’est perdu : il faut le ressortir, le partager, que ça puisse servir ou même emmerder d’autres gens !

— Laurent : Comment t’y prends-tu concrètement, pour révéler la créativité chez les autres ?

— Ares : J’ai toujours réussi à le faire, mais je ne l’ai réalisé que très récemment. C’est une preuve sociale pourrie, parce que je n’ai pas pris d’oseille pour ça 🙂

Aujourd’hui, j’essaie d’orienter mon métier vers cette quête, cette petite valeur ajoutée. Je continue à faire ce que je propose, ce pour quoi je suis payé. Ma valeur ajoutée, c’est de faire prendre conscience aux gens qu’en fait, tout le monde peut le faire.

La créativité n’est pas un pouvoir que tu as ou pas, tu peux la développer. Ça passe beaucoup par ce qui se passe dans le cerveau. Sans mindset, c’est un peu compliqué.

Le problème, c’est qu’aujourd’hui, tout le monde parle de mindset toute la journée, pour tout et n’importe quoi, pour faire de l’oseille, pour ci, pour ça…  Mais quand personne ne te regarde, quand on ne parle pas de followers, de réussite, de CA, de reach, il reste quoi ? Qu’est-ce que tu as vraiment réussi ? Seule la créativité peut t’aider, les émotions, comment tu as partagé des choses…

Je suis en train de monter une petite formation, ou plutôt un « guide », un coup de pied au cul à qui en aura besoin. Comment ça se manifeste ? Qu’est-ce qu’il faut savoir du cerveau pour comprendre le phénomène ? Comment la faire émerger, l’alimenter, la garder, la faire perdurer ? Comment garantir que ça ne soit pas un accident ? Comment la dompter, quand on en a trop ?

J’ai fait partie de ces gens, et ça m’arrive encore, d’avoir 15 000 idées à la seconde, et à la fin de la journée, tu n’as rien fait ! Pourquoi ? C’est trop puissant ! Ça sort dans tous les sens, tu ne sais pas laquelle prendre, laquelle prioriser. Il existe des outils pour le faire, et je les explore depuis des années, j’ai constaté leurs résultats sur moi et d’autres. Aujourd’hui, c’est ma mission de transmettre ça.

Être au top de sa créativité ?

— Laurent : Dirais-tu que tu es au top de ta créativité ?

— Ares : On n’est jamais au top, ou on est un gros mytho. La créativité grandit tous les jours. La curiosité, la remise en question, c’est son engrais.

Dans six mois, je serai cent fois meilleur qu’au moment où je te parle, et je suis aujourd’hui cent fois meilleur qu’il y a six mois. Il faut se l’autoriser, accepter l’idée que ça grandit tout le temps. Sinon, tu ne grandis pas.

Ce qui nourrit sa créativité

— Laurent : Concrètement, comment tu nourris ta curiosité ?

— Ares : La curiosité est l’engrais principal. Tu ne connais pas ou tu n’as pas compris quelque chose ? Va fouiller, ça te prend 30 secondes ! On a tous dans notre poche un outil à 1 200 balles dont on est très fiers : Internet avec un téléphone ! Encore faut-il s’en servir.

Tu regardes un film, et il y a une blague que tu ne comprends pas. Fais pause et va voir. C’est chiant, mais plus tu le fais, moins tu as besoin de le faire 🙂 « Pourquoi les ricains rigolent à cette blague ? » et tu apprends que c’est un truc populaire, carrément culturel… La prochaine fois, tu sauras. C’est un exemple parmi tant d’autres.

À une époque, si tu voulais être cultivé, il fallait avoir la chance de vivre dans un bled avec une bibliothèque, y aller, trouver le bon livre et le lire. Aujourd’hui, tu tapes un truc, tu demandes à Siri, même, et tu as la réponse. Franchement, n’être pas cultivé ou pas curieux aujourd’hui, c’est un choix.

— Laurent : C’est aussi dans la vie réelle ?

— Ares : Le plus possible, même si aller au musée prend plus de temps que regarder un truc sur Internet ! Mais c’est indispensable de s’alimenter du réel. Comme parler à des gens que tu ne connais pas, ou dont tu ne parles pas la langue, tente quand même : même si tu te viandes, tu comprendras pourquoi. À force, ça rentre, et c’est ancré.

Je m’inspire beaucoup des gens. En face de toi, tu as une personne avec un vécu, des émotions, qui en a pris plein la gueule… c’est méga important, sinon tu es centré sur toi.

Parfois, prendre l’air, c’est déjà alimenter sa créativité. Ton cerveau en a besoin. La créativité est un mécanisme en amont, en toile de fond. Le cerveau est un peu comme un muscle. Tu bosses les jambes trois fois par semaine, les jours où tu ne bosses pas les jambes, ton muscle se reconstruit. Et c’est là que tu prends de la masse. C’est la même chose avec la créativité : tu lui donnes des infos, tu l’alimentes, tu lui donnes ce qu’il faut… Tu vas pioncer, et tu te réveilleras avec des bonnes idées ! C’est couillon, mais c’est comme ça que ça fonctionne.

Ce qui la freine

— Laurent : À l’inverse, qu’est-ce qui la freine ?

— Ares : Quand j’ai trop d’idées, parce que finalement, je ne concrétise rien. J’ai parfois l’impression qu’avoir des idées, c’est plus un handicap qu’autre chose, si tu ne sais pas les canaliser.

Je suis capable de faire quelque chose à partir de mauvaises expériences, de mauvaises nouvelles, de la tristesse ou de la colère. C’est d’ailleurs là que tu deviens bon : si ton cerveau est capable de tirer quelque chose de positif avec la merde qu’on t’a donnée.

L’anxiété, en revanche, freine ma créativité : devoir faire de l’oseille, la santé, la famille, les sentiments… tous ces stress sur lesquels tu n’as pas de contrôle, que tu ne peux que subir. Certains disent que ça relève d’un choix, qu’on peut tout contrôler. C’est faux, parfois, ça te tombe sur le coin du bec. Ton cerveau est occupé à s’inquiéter de trucs, sa priorité, c’est le danger : on est des animaux. Entre dessiner, trouver une solution, devoir bouffer, ou la santé, ton cerveau établit des priorités.

Londres, entre exaltation créative et pression financière

— Laurent : Tu fais le choix de partir vivre à Londres. Que représente cette ville pour toi, notamment du point de vue de la créativité ?

— Ares : J’ai un rapport fort à certaines villes, comparable à une histoire d’amour. Je les appelle mes « horcruxes ».

Dans Harry Potter, Voldemort, le grand méchant, sépare son âme en sept parties, dans sept objets qu’il dispatche un peu partout. Tant qu’on n’a pas détruit ces objets, son âme est safe. Londres fait partie de mes « horcruxes », probablement le plus important. Je m’y bouffe des shots d’inspiration, de créativité, de choses possibles, de motivation, d’ambition. Je me suis toujours dit que j’y vivrais un jour.

Ça a collé avec le fait que je ne pouvais plus trop encadrer la France. Être en France freinait ma créativité, il y avait trop de tristesse. C’est une histoire perso, mais c’est réel. C’était l’occasion de partir dans un des endroits où je me sens bien, de choisir mon chez-moi.

À Londres, il suffit que tu sortes dans la rue pour avoir un milliard d’idées de marques à créer, de photos, les gens sont différents… Il y a de tout, bien sûr, mais ça m’inspire de fou !

 C’est tout de même chaud, parce que c’est une ville hyper chère. Avec ma copine, on avait calculé, ça passait. Mais putain, tu ne peux pas sortir de chez toi sans avoir lâché 80 balles ! C’est compliqué, mais on se réadapte.

Le prix, c’est le revers de la médaille pour vivre dans un endroit où je me sens plus chez moi, qui m’inspire au quotidien, où je suis heureux de me lever. Maintenant, il faut faire de l’oseille !

— Laurent : Tu ressens plus le stress et la pression financière ?

— Ares : Un peu, d’autant qu’à présent, je vole en solo : plus de Pôle emploi, plus de RSA. Ce que tu fais rentrer, ça rentre, ce que tu ne rentres pas, il faut le faire rentrer !

— Laurent : Comment parviens-tu à gérer cette opposition entre l’afflux de créativité et d’idées et la pression à faire rentrer de l’argent, à taffer, et à brider ta créativité ?

— Ares : Ce n’est pas tous les jours facile, il m’arrive d’en chier. Certains matins, je me lève et l’anxiété est là, entre des trucs que j’ai à faire, des trucs en retard…

Dans ces moments-là, je m’efforce de revenir à l’essentiel, ne pas m’éparpiller dans tous les sens. C’est chiant, parce que certaines choses vont devoir attendre encore un peu avant que je puisse me faire kiffer dessus. Ça comporte une part de sacrifice.

Au contraire, parfois, quand il y a trop de trucs à faire, je me casse, je vais boire un coup, prendre l’air. Quand tu sors, ici, il fait moins dix, il flotte quinze fois par jour, il fait beau… c’est cool, tu pars un peu dans l’inconnu 🙂 Quand je rentre, les choses me paraissent plus claires.

J’ai besoin de faire le vide, retourner aux priorités, savoir sacrifier des trucs que j’avais envie de faire, mais qui vont devoir attendre un peu. C’est parfois difficile.

Ça peut aussi impliquer de clarifier ce que tu proposes, refaire un coup de clean. Ça me semble clair parce que je vis avec moi-même, encore heureux ! Mais ceux qui ne me connaissent pas, à quoi m’associent-ils ? Comprennent-ils ce que je vends ? Il y a des gens qui sont malades de devoir faire ça, mais tu ne peux pas faire autrement. Refaire tout le temps, reconstruire, refaçonner : à force, le château que tu es en train de bâtir ne se casse plus trop la gueule 🙂

Une journée sans créer ?

— Laurent : Dans un post sur LinkedIn, tu disais que tu te sentais vraiment mal s’il se passait une journée sans que tu sois créatif. Qu’est-ce que tu entends par là ?

— Ares : J’ai l’impression de ne pas avoir vécu la journée, mais de l’avoir survécue. Je déteste ça. Il faut que j’arrive à créer quelque chose, ça peut prendre des formes méga différentes. Au pub, avec des potes, si je raconte une anecdote, si je me lance dans un jeu de rôle, si je fais le couillon… Rigoler, surenchérir, c’est déjà une forme de créativité ! J’ai fait quelque chose au-delà de simplement me nourrir, travailler et répondre à mes besoins primitifs.

Si l’occasion ne s’est pas présentée au moment où je me couche, alors je ne me couche pas. Même s’il est deux heures du matin et qu’il faut que j’aille au pieu, je me lance dans une petite prod, faire un peu de musique, un dessin, avancer un post pour la semaine prochaine, rédiger un texte… Je ne me couche pas tant que ce n’est pas fait. De toute façon, je ne pourrais pas dormir !

— Laurent : Dans ces moments-là, sais-tu déjà ce que tu vas créer ?

— Ares : Parfois, je joins l’utile à l’agréable et j’avance sur les dessins de mes prochains posts. Parfois, j’ai envie de me surprendre, de partir sur du full kiff, quelque chose qui ne verra jamais le jour : je me fais une prod, je pose un texte dessus, personne ne l’écoutera et ce n’est pas grave, ça m’a fait du bien. J’ai eu ma dose. Ça ne m’étonnerait pas que, dans le cerveau, les zones de l’addiction à la drogue et de la créativité ne soient pas très loin !

— Laurent : Quand tu matérialises ta créativité, tu as un peu d’endorphine qui génère du bien-être. J’aimerais faire intervenir un neuroscientifique dans le podcast pour comprendre comment ça fonctionne.
— Ares : Ça serait super intéressant !

Son autre casquette, le rap

De la guitare à la composition

— Laurent : J’aimerais faire un focus sur ton autre casquette, celle de rappeur. Comment t’est venue l’idée de te mettre au rap ?

— Ares : À douze ans, j’ai commencé la guitare avec des gros morceaux de rock, de soul, de blues : Carlos Santana, Stevie Ray Vaughan, des trucs sans rapport avec le rap d’aujourd’hui.

Je kiffais de fou, mais petit à petit, j’ai eu envie de composer. C’était cool de rejouer des morceaux, je me suis fait mes skills grâce à ça. Mais j’avais le pouvoir de faire de la musique, je voulais donc en faire !

J’ai commencé à composer : une piste guitare, à laquelle tu ajoutes une piste basse, un petit piano… J’ai appris la musique comme ça, parce que j’avais besoin de créer quelque chose de globalement fini, et pas seulement de rester sur une maîtrise de la guitare. Je ne suis pas un virtuose de la guitare, mais je peux me démerder pour faire une instru avec plusieurs instruments. C’est un choix.

Je ne suis pas un très bon chanteur, il aurait fallu que je prenne des cours : avoir une belle voix, ça ne s’improvise pas. Je me suis naturellement intéressé au rap, surtout américain au début, parce que les sonorités m’intéressaient plus.

Dans le rap français, je n’écoutais que deux, trois trucs que je trouvais bien écrits, et qui sortaient du lot, à mon sens. Je préférais la musicalité du rap américain même si, quand tu traduis les textes, c’est bien plus de la merde qu’en français ! Les mecs rebondissent sur le flow, sur les rimes.

Ça me permettait aussi d’analyser la musique avec un rapport détaché. Parce que quand tu comprends le texte, tu n’as pas la même analyse que quand tu l’appréhendes juste musicalement.

J’ai fini par écrire mes textes et les rapper, je kiffe ! J’aime le rap habilement écrit, pas forcément « poétique », parce que je dis quelques gros mots aussi.

— Laurent : C’est en effet ta plume qui m’a frappé quand j’ai découvert tes morceaux.

Extrait de sa chanson Schizophrène (pour accéder au titre complet, tu dois être connecté à Spotify)

Un premier album fait maison

— Laurent : Comment s’est passé la sortie de ton album ?

— Ares : J’ai tout fait de A à Z, seul dans ma piaule.

Au départ, j’étais à une soirée dans le sud avec des potes. Ils m’ont encouragé à passer mon son, entre deux DJs. Ils connaissent ma musique, mais ils étaient bien les seuls. C’était un son que j’avais à peine fini la veille dans ma chambre !

Des gens ont commencé à shazamer, tout le monde est retourné danser, alors que la salle était en train de mourir 🙂

J’ai bien fait d’écouter mes potes ! C’était sympa, une bonne expérience. Dans le tas, quelqu’un a fait un snap et l’a envoyé à un de ses potes, directeur artistique à Paris.

On me l’a déjà faite, et je n’y croyais pas du tout ! Finalement, deux jours après, un directeur artistique de chez Mercury Universal m’a contacté : il avait kiffé et il voulait en entendre plus !

J’ai pris un train, je suis monté à Paris, rendez-vous de deux heures. Le mec écoute tout, il kiffe :

Tu fais tout ça tout seul, on aimerait te donner les moyens d’aller plus loin.

J’étais comme un ouf : c’est ça, percer dans la musique ? C’était easy, en fait ! 🙂 Mais en fait, il me dit qu’ils ne peuvent pas signer : je n’ai pas assez de followers.

Je n’ai même pas de chaîne YouTube, et il me faudrait au moins 100 000 abonnés. Ils ne vont pas signer un gars sans être sûrs que ça prenne.

C’est là que tu comprends que le business de la musique est très différent aujourd’hui : les labels ne misent plus sur des potentiels pour leur donner les moyens de se révéler.

On est loin du gars qui découvre Jimi Hendrix qui joue de la gratte dans le métro et lui fait faire un album. C’est fini ça ! Avec les réseaux sociaux, les labels misent sur des gens qui vont péter quoi qu’il arrive, même sans eux, et prendre un petit bifton avant que ça ne leur passe sous le nez.

Je me suis donc dit que j’allais le faire tout seul, mon album ! Je n’aurais pas la force de frappe d’une maison de disques ni la puissance de com’ d’un label, mais je vais le faire. C’est le premier album, la première création d’un gars qui se lève tous les matins pendant un an pour ne faire que ça.

Ça vaut ce que ça vaut, à cette époque, j’avais beaucoup de choses à dire. Il y a de la tristesse, de l’émotion, ça s’écoute avec un certain mood. Ce n’est pas commercial, et je n’avais de toute façon pas spécialement envie de percer avec ça. J’aurais simplement voulu attirer une audience pour leur proposer d’autres choses plus tard.

Ça n’a pas marché, je ne peux pas dire que je suis rappeur aujourd’hui. Je fais du rap, mais je ne suis pas connu du tout.

Extrait de sa chanson Horcruxe (pour accéder au titre complet, tu dois être connecté à Spotify)

— Laurent : Tu as édité ton album, ou il n’existe qu’au format numérique ?

— Ares : Tu imagines les coûts ? 🙂

— Laurent : Justement, pas vraiment 🙂

C’est pour ça que ça m’intéresse de discuter avec toi, pour comprendre l’envers du décor, quand on est un petit artiste comme toi 🙂

— Ares : Souvent, quand tu as un groupe avec d’autres musiciens, tu as des potes qui font un peu de tout, et tu arrives à faire un projet. Un mec te fait la prod, c’est son kiff, toi, tu es rappeur, tu vas chez lui le soir, on sort le micro, on enregistre. Un pote photographe est là… Les petits projets se font comme ça, en équipe.

Ensuite, tu trouves un distributeur pour diffuser ta musique sur les plateformes de streaming.

Parce que ça ne se télécharge pas comme ça, tu ne te connectes pas à Spotify, tu drag and drop ton projet, et tu es sur Spotify.

— Laurent : Tu as quelques sons sur Spotify et d’autres plateformes, comment as-tu fait ?

— Ares : À l’époque, j’avais payé 30 balles la sortie du single, pour qu’il soit publiable. Après, tous les mois, tu payes un abonnement pour conserver sa présence sur les plateformes.

— Laurent : Tu payes les plateformes ?

— Ares : Tu payes un distributeur, par exemple Distrokid ou Tunecore. Ce sont des boîtes qui s’occupent de distribuer ta musique.

— Laurent : Je comprends. Je paye aussi une boîte pour distribuer le podcast sur les plateformes.

— Ares : C’est exactement la même chose. Ils s’occupent de te distribuer au plus d’endroits possible : Apple Music, Amazon Music, YouTube Music, Deezer, Spotify, Napster, tout ça…

Comme tu payes 30 balles tous les mois, ça revient à une somme. Certaines sorties sont payantes aussi : un album de 12 titres, par exemple, va te coûter 50 balles environ, selon les distributeurs.

Ensuite, charge à toi d’en faire la promotion. Une écoute, au moment où j’ai fait une vidéo YouTube pour l’expliquer, te faisait gagner 0,0033 €.

— Laurent : Ce n’est pas viable, pour un petit artiste, d’être présent sur Spotify…

— Ares : Pas du tout, et ce n’est pas fait pour ça.

En revanche, pour les grands, ça l’est. Quand Drake sort un truc, il tape le milliard de streams par son, donc 1 milliard x 0,0033 rien que sur Spotify ! Chaque plateforme a son taux. Les gros mangent très bien 🙂

Pour les petits, c’est juste pour montrer que tu fais de la musique, et un jour, peut-être, tu auras l’occasion d’aller plus loin. Mais il est impossible d’en vivre.

Seul, « validé » par Booba

— Laurent : Il me semble avoir vu passer que tu étais « validé » par Booba ? 🙂

— Ares : Ouais, il y a une histoire avec Booba 🙂

En décembre 2019, j’étais missionné comme photographe et directeur artistique sur un projet photo et vidéo pour sa marque de whisky. Ça se passait à Miami, on profitait du festival Art Basel. Booba valide la vidéo, il a adoré, et il m’envoie un message sur Instagram pour me le dire. C’était juste avant qu’il se fasse péter son compte.

Il me dit aussi qu’il a écouté mon son, Seul, un morceau que j’avais sorti peu de temps avant. Il m’a dit :

Continue comme ça, tu as vraiment du talent.

Booba à Ares

Ce DM, je l’ai reposté dans ma story. Et là, alors que ça faisait un mois que je parlais de mon album à tout le monde, et que tout le monde s’en foutait, la story a été republiée 10 000 fois 🙂

Tu te manges une vague de love, qui sort de nulle part, parce que tu as posté une preuve que Booba, lui, t’a validé.

Ça fait très mal, parce que tout le monde t’avait laissé en vu, personne n’a écouté. En deux jours, Seul a été streamé plus de 13 000 fois. C’était énorme, pour moi qui partais de zéro, qui n’atteignais pas les 100 premières écoutes…

— Laurent : Ce coup de projecteur a ruisselé sur tes autres morceaux ?

— Ares : Très peu. Ce son-là a bien pété, mais les autres pas trop.

Extrait de sa chanson Seul (pour accéder au titre complet, tu dois être connecté à Spotify)

Ses envies musicales contrariées

— Laurent : Comptes-tu développer ta carrière musicale, ou vas-tu la mettre en pause pour te concentrer sur la DA en ce moment ?

— Ares : C’est dur. J’avais des projets, de me lancer dans la musique ici à Londres. Beaucoup d’artistes que j’écoute de ouf sont accessibles, ils ne sont probablement pas loin. Beaucoup viennent du quartier où je vis : j’ouvre l’œil quand je sors 🙂

L’idéal serait de me placer sur la scène musicale à Londres en tant que directeur artistique, en réalisant une pochette d’album pour un artiste, par exemple. Ce que je kifferais, c’est entrer dans ce milieu de manière intelligente et habile, pas comme un gars qui veut croquer.

Mais, c’est compliqué : il faut faire de l’argent, et mes projets en direction artistique sont très chronophages. Les séances photo, la création d’une identité pour une marque, ou le personal branding pour un créateur sur LinkedIn, une charte graphique, les rendez-vous… En trois semaines ici, je n’ai pas encore eu l’occasion d’explorer.

— Laurent : Oui, tu viens d’arriver. J’imagine qu’il faut le réseau, les entrées, connaître des gens…

— Ares : En arrivant ici, je me suis dit que j’irais parler à tout le monde. Sauf que je n’ai pas trop eu le temps de sortir 🙂 Pour la musique, j’ai l’essentiel du matos pour en faire ici. J’ai trouvé un bon petit appart, mais l’acoustique n’est pas ouf.

— Laurent : Ça ne te frustre pas de ne pas pouvoir avancer plus vite, sur la musique ?

— Ares : Ça me rend malade, tout simplement 🙂 Mais, ça fait des années que je dois reléguer cette passion, prioriser d’autres choses. J’ai l’habitude…

Je commence à ressentir la pression de l’âge. J’aurais dû percer il y a dix ans.

— Laurent : Il y a vraiment une question d’âge ?

— Ares : Ça ne fait pas office de parole d’Évangile, mais à l’époque, le directeur artistique de chez Mercury Universal m’avait dit : « Tu as 26 ans, c’est chaud… » C’était déjà un peu vieux, et là, j’en ai 32.

— Laurent : Ce n’est peut-être pas représentatif, mais effectivement, les candidats de The Voice ou de la Star Ac’ ont 18 ans !

— Ares : Pour percer tout seul, je pense qu’il n’y a pas forcément d’âge : c’est toi qui vas gérer. Mais quand tu es chapeauté par un label ou une maison de disques, c’est comme un joueur de foot : ils te prennent le plus jeune possible, pour rentabiliser le truc. Ils s’assurent que ça va parler aux générations qui payent aujourd’hui. C’est du marketing, mais ça fait quand même flipper, même si tu es conscient que c’est une connerie.

Donner un titre aux morceaux

— Laurent : Magritte considérait qu’une œuvre était incomplète sans le titre. Accordes-tu de l’importance aux titres de tes morceaux ?

— Ares : Quand je fais un son, jusqu’à ce qu’il soit terminé, il s’appelle « new » avec trois w, ou « new project » avec quatre t 🙂

Le titre, c’est la cerise sur le gâteau !

Le titre a un intérêt, c’est important, il fait partie de l’œuvre. Mais est-ce qu’une œuvre a besoin d’un titre, d’une explication pour être comprise ? C’est un autre débat.

— Laurent : Je le comprends plutôt comme : le titre fait partie intégrante de l’œuvre. Ce n’est pas seulement le petit truc que tu ajoutes à la fin parce qu’il le faut. Le titre est un prolongement de la réflexion qu’il a menée.

— Ares : Je suis assez d’accord avec lui : si tu ne donnes pas de titre, les gens peuvent l’interpréter un peu comme ils veulent, et c’est bien. Mais quand tu donnes un titre, tu proposes ta vision.

Un peintre qui peint un décor, sans titre, ça reste un décor. Alors qu’avec un titre vraiment puissant, on va chercher le sens, l’histoire derrière.

— Laurent : Comment t’y prends-tu pour nommer tes chansons ?

— Ares : J’écris toujours par rapport à une histoire, quelque chose que je veux relater, un sentiment, un état d’esprit, un mood.

La plupart du temps, le titre vient naturellement. Ils sont souvent inspirés d’autres trucs, ou font des références.

— Laurent : Tes titres sont assez évocateurs, en lien avec le mood de la chanson. Tes morceaux ne sont pas tristes, mais tout de même assez « pesantes ».

— Ares : C’est un peu ce que beaucoup de gens m’ont reproché : « J’ai écouté ton premier album, c’est triste, non ? » 🙂

Je ne le vois pas comme un truc triste. Ça peut paraître triste, à côté d’un Jul qui saute dans tous les sens au Zumba Café 🙂

C’est mon premier album, il est donc un peu maladroit. Aujourd’hui, je ferais complètement différemment. Mais il comporte des choses que je pense encore.

Dans l’idéal, j’aimerais qu’on l’écoute posé dans un endroit calme, tu bois ton petit truc, tu fumes ce que tu as envie, et tu réfléchis. C’est moi qui rappe, mais dans l’idée, je te parle à toi, et on réfléchit ensemble.

Parler de soi pour parler aux autres

Extrait de sa chanson 3h05 (pour accéder au titre complet, tu dois être connecté à Spotify)

— Laurent : Tes morceaux sont autobiographiques ou fictionnels ? Ils sont assez noirs : tu y évoques ton rapport à l’alcool, à la drogue, à la souffrance mentale…

— Ares : Je n’arrive pas à écrire sur quelque chose que je n’ai pas vécu. C’est très compliqué pour moi d’inventer un perso à 100 %, je ne peux pas le faire.

J’ai traversé une phase très dure, je suis tombé dans des trucs de merde. J’avais envie que ça parle à d’autres gens, pas comme une ode à l’alcool, mais pour leur dire : « Regarde ce que ça fait ! »

J’en suis complètement revenu, dans les morceaux que j’écris aujourd’hui. Je pensais que ça m’aidait, mais c’était absolument de la merde ! Ça m’a éteint, et je m’en suis rendu compte en voyant des potes qui se sont éteints avec ça.

J’ai complètement quitté ce genre de choses, un jour où j’étais tellement défoncé que je n’arrivais pas à faire de musique. Je me suis dit :

« Mais mec, qu’est-ce que tu es en train de faire, là ? Tu es en train de te ruiner, tu ne te respectes plus, tu es en train de t’auto-détruire : tu ne sais plus faire ce que tu as envie de faire toute ta vie ! »

J’ai choisi d’adopter cette posture : avoir vécu ces choses me permet de les comprendre et d’en parler. Sinon, ça serait juste une critique sur des gens, sur comment ils font les choses, et me croire meilleur que tout le monde. Or, je m’inclus dans le truc, parce que j’ai un peu baigné là-dedans, il faut être honnête.

Le chemin et la destination

— Laurent : Selon Park Seo-Bo, un artiste peintre sud-coréen, dans son art, le processus est plus important que le résultat. Qu’en dis-tu ?

— Ares : Je suis carrément d’accord avec ça ! C’est comme quand tu pars en voyage avec des gens que tu aimes : tu sais où tu vas, mais le chemin en bagnole est kiffant aussi ! 🙂

Une fois qu’un truc est terminé, je suis content parce que c’est concret, c’est sorti de mon cerveau : ce n’est plus une idée, je peux le consommer, le lire, l’écouter, le regarder, le vendre… Mais il s’opère comme un deuil : c’était bien, quand j’étais en train de le faire…

 Le chemin est aussi important que la destination, et ça vaut pour beaucoup de choses.

— Laurent : Lui dit que c’est même plus important.

— Ares : Ça dépend du chemin et de comment tu considères que quelque chose est terminé. Pour moi, c’est aussi important.

Terminer un projet

— Laurent : Quels sont tes critères pour dire qu’une chose est terminée ?

— Ares : Au début, tu penses qu’il existe des critères purement techniques, comme des cases à cocher. En réalité, ce n’est jamais fini. Par exemple, si je veux, je peux reprendre mon album et tout refaire.

C’est une malédiction des créatifs. Il y a toujours une tonne de projets en cours, et je sais que je ne suis pas le seul à ressentir ça. Beaucoup de personnes diront la même chose si on les interroge.

Combien de fois tu as envie de dire :

Voilà, c’est fini, j’ai fait mon boulot sur ce truc-là, maintenant il est temps de le partager.

Mais on veut toujours faire mieux, et plus on attend, plus on doute.

Tu finis par regarder un projet qui traîne depuis six mois, parce que tu as quinze autres trucs à gérer, et tu te dis « Bravo, espèce de couillon ! Maintenant, si je le sors, c’est complètement dépassé. »

Ça a vieilli, et j’ai raté une belle occasion de sortir quelque chose au bon moment. Et tu te retrouves avec des disques durs pleins de projets que tu n’as jamais montrés et qui, avec le temps, ne représentent plus tes compétences d’aujourd’hui.

Si je te fais écouter des prods qui n’ont jamais vu le jour, des trucs d’il y a 5 ou 10 ans, tu te diras que c’est pas mal. Alors que je suis bien meilleur aujourd’hui ! Donc, tu ne prends jamais le risque de les sortir, et ça, c’est une connerie.

Un projet dans ses tiroirs

— Laurent : Y a-t-il un projet qui dort dans tes tiroirs et que tu n’arrives pas à faire avancer ?

— Ares : Un deuxième album 🙂 D’ailleurs, j’ai l’équivalent de quasiment cinq albums prêts !

 — Laurent : Qu’est-ce qui te bloque ?

— Ares : Pas tant la thune : je peux le faire chez moi. C’est plutôt le temps, et l’idée de le partager correctement, avec des gens qui en ont envie.

Quand tu as fait un premier album et que tu as dû te battre pour qu’on l’écoute, alors qu’apparemment tout le monde l’attendait… Les nuits blanches qui vont suivre, tu les mets ailleurs.

Ça demande beaucoup de temps, surtout quand tu fais tout, tout seul : la compo, le mixage, le mastering, la prod, l’écriture, l’enregistrement, et puis la pochette… Il y a trop de trucs à faire, c’est trop chronophage pour prendre le risque de le faire et que ça ne mène nulle part.

Si les journées faisaient 72 heures, j’en consacrerais une partie, même si ça ne mène nulle part. Mais aujourd’hui, je n’ai pas le temps, malheureusement.

Les questions de la fin

Ses conseils pour développer sa créativité

— Laurent : Quels conseils tu pourrais donner à quelqu’un qui cherche sa créativité ?

— Ares : J’en donnerai trois. Avant de devenir créatif, tu dois d’abord être curieux, Pour l’être, tu dois oser, faire preuve d’audace. Et pour le rester, tu dois t’en foutre.

À partir du moment où tu l’es, les gens vont te dire des trucs, tu vas recevoir des avis contradictoires à droite, à gauche… Tu vas même réfléchir sur toi-même, si tu n’as pas fait des conneries… Non, il faut s’en foutre.

— Laurent : Être curieux, oser, reviennent régulièrement, mais tu es le premier à me répondre « s’en foutre » !

— Ares : C’est toi qui crées ou c’est les gens ? Le plus dur est dans cette troisième étape. Beaucoup de gens font des choses et attendent de la reconnaissance, une validation. On est conditionnés à ça depuis qu’on est gamins : est-ce que ce que tu as fait est efficace ?

— Laurent : Les réseaux contribuent également à ça : tu cherches les likes.

— Ares : Alors que plus tu t’en fous, plus tu fais ton truc, plus les gens se disent : « Lui, il est chaud ! Il s’en fout ! »

J’ai choisi la voie dans laquelle je croyais en moi. Tu attires des gens qui aiment ça, et tu finis par trouver des clients là-dedans !

Son mot préféré de la langue française

— Laurent : Quel est ton mot préféré de la langue française ?

— Ares : J’en ai deux.

Ce n’est pas mon préféré, mais celui que je dis le plus dans ma journée : « putain ». Ça peut tout vouloir dire. Ce n’est pas bon, parce que les gens pensent que je suis vulgaire, alors que je sais m’exprimer. C’est juste la virgule de mes tripes !

L’autre mot, c’est « quintessence », parce que tout ce que je fais, c’est en quête de la quintessence des choses. C’est le truc à son maximum, le plus puissant, la valeur ajoutée ultime. Le mot est joli, aussi : la quintessence, c’est l’essence ultime.

— Laurent :

Et il rapporte beaucoup au Scrabble !

— Ares : Il n’est pas facile à poser, mais quand tu le places, par contre, t’es content 🙂

Son coup de cœur créatif

— Laurent : Quel créateur ou quelle créatrice voudrais-tu mettre en avant ?

— Ares : Deux personnes m’inspirent de fou.

Le premier, c’est Alexandre Astier. Au-delà même du fait qu’il a pondu Kaamelott, qu’on aime ou pas, c’est quand même un bonhomme, d’une extrême polyvalence : il compose les musiques, il écrit les textes, il filme, il est réalisateur, acteur, il a fait une conférence sur la vulgarisation scientifique… Il touche un peu à tout.

Un astéroïde porte son nom, tellement il a un pied dans le monde geek et dans le monde scientifique. C’est un taulier !

Quand tu l’écoutes parler, il est factuel, il parle aussi avec ses tripes. Il sait où il va et il hésite, c’est un humain dans toute sa vulnérabilité et toute sa puissance.

Le second, c’est Seb la frite, le mec de Léna Situations. C’est un couple que j’estime beaucoup, pas parce qu’ils ont fait ci ou ça, mais pour toute la structure qu’ils ont mise en place. Lui est en train de monter son agence de com, elle, elle n’a plus à faire ses preuves. C’est des tauliers, ils sont plus jeunes que moi, respect !

Pour suivre son actualité

— Laurent : Où peut-on te retrouver ?

— Ares : J’ai quitté Instagram parce que ça m’a gonflé. J’y reviendrai avec une meilleure stratégie, moins hasardeuse et plus travaillée. Je suis essentiellement LinkedIn, où je montre mon taf, je partage ma vision, j’encourage les gens… Il y a aussi des choses à voir sur YouTube, même si j’ai pris une petite pause, parce que c’est très chronophage, et que je n’ai pas le temps de m’y mettre à 100 %. Ma musique est sur Spotify, Deezer, tout ça… même si, aujourd’hui, j’aimerais ressortir des morceaux plus actuels, plus modernes, davantage en accord avec ce que je suis aujourd’hui.

— Laurent : Merci beaucoup.

— Ares : Merci à toi ! Ça me fait plaisir d’avoir participé à un petit podcast, surtout avec cette thématique !

Conclusion

— Laurent : Merci d’avoir écouté cet épisode jusqu’au bout.

Comme à chaque fois, je t’invite à prendre quelques secondes pour noter ce que tu en retiens. Pour ma part, ce sont surtout ces trois conseils de la fin : être curieux pour devenir créatif, faire preuve d’audace pour l’être, et se foutre du jugement des autres pour le rester.

Pour moi, le second est probablement le plus difficile, parce qu’il n’est pas toujours facile d’oser se lancer, surtout quand on pense ne pas être créatif. Ce sera d’ailleurs le sujet d’un épisode qui sortira en février.

Je suis curieux de savoir ce que toi, tu as retenu de cet épisode.

Cet article peut contenir des liens affiliés.
Ces derniers n’influent pas sur la qualité du contenu ni sur la ligne éditoriale de ce site. Ils m’aident simplement à le faire vivre et à le développer. Ils sont identifiés par un astérisque ou par un traitement visuel spécifique. En savoir plus.