Ceci est la transcription textuelle de l’épisode n° 16 du podcast « Réserve Créative » disponible sur votre plateforme d’écoute préférée.

Épisode enregistré le 06/09/2023 et diffusé le 24/10/2023.

Introduction

— Laurent : Parce qu’on est toutes et tous créatifs à notre façon, Réserve Créative questionne la notion de créativité et explore la diversité créative.

Hello, je suis Laurent, et ce podcast est ma quête pour comprendre ce qu’est la créativité.

Dans cet épisode, je te propose de faire un pas de côté et d’aborder la créativité sous un angle différent de d’habitude, celui de la protection, avec Laetitia Canezza, une juriste spécialisée en protection intellectuelle et tromboniste à ses heures perdues.

On fait le point sur les différents types de propriété intellectuelle, avec un gros focus sur le droit d’auteur qu’on a intérêt, ou pas, à protéger, en se basant sur des exemples issus de la vie réelle. Comment faire valoir ses droits, notamment face aux IA génératives ? Enfin, comment se protéger des arnaques et des entreprises peu scrupuleuses qui gravitent dans ce milieu ?

On t’a préparé un épisode très concret, sans blabla juridique incompréhensible. L’objectif, c’est de te sensibiliser sur le sujet, et surtout de faire en sorte que tu connaisses tes droits pour que tu puisses les faire respecter.

Bien sûr, comme dans chaque épisode, on échange sur sa vision de la créativité. Elle nous expliquera aussi comment son métier lui permet d’être créative par procuration.

Sur ce, je te souhaite une excellente écoute.

Portrait de Laëtitia Canezza

Les partenaires

Présentation de Laetitia

— Laurent : Salut Laetitia, bienvenue dans le podcast 🙂

— Laetitia : Bonjour Laurent, je te remercie pour cette invitation.

— Laurent : On va faire un épisode un peu particulier aujourd’hui, puisqu’on va aborder la créativité sous un angle un peu différent de d’habitude, celui de la protection juridique.

Avant d’entrer dans le détail, il y a une question que j’aime bien poser à mes invités, qui leur permet de se présenter : qu’est-ce que tu réponds quand on te demande ce que tu fais dans la vie ?

— Laetitia : Fut un temps, je répondais par ma profession : conseillère en propriété industrielle. Je me suis rendu compte que ça ennuyait à peu près tout le monde. Désormais, je réponds que je suis juriste tromboniste, parce que le trombone prend beaucoup de place dans ma vie ! C’est une passion en parfait équilibre avec ma vie professionnelle 🙂

— Laurent : Tu parles donc bien de l’instrument ? Ce n’est pas une métaphore avec ton métier ? 🙂

— Laetitia : Pas du tout 🙂

— Laurent : On ne sait jamais 🙂 Effectivement, ça interpelle beaucoup plus !

— Laetitia : Personne ne connait ma profession. Même si « juriste », ça parle davantage, ça reste un métier qui semble ennuyeux. « Tromboniste », ça éveille la curiosité de mon interlocuteur.

— Laurent : On va avoir l’occasion d’en discuter 🙂

Avant tout, petite précision : on ne va pas faire un podcast sur les articles de loi, un truc chiant ou très théorique. Moi le premier, ça ne m’intéresserait pas 🙂 L’idée, c’est plutôt de sensibiliser au sujet.

— Laetitia : Je te promets que le droit peut être amusant, le droit de la propriété intellectuelle en particulier 🙂

— Laurent : C’est ton défi aujourd’hui, de nous le prouver 🙂

Son parcours

— Laurent : Avant de travailler dans le domaine de la propriété intellectuelle et industrielle, quel était ton parcours ? Il me semble que tu es passée par le cinéma…

— Laetitia : J’ai eu une multitude d’envies de métiers quand j’étais petite : je voulais être archéologue, vétérinaire en Chine pour sauver les pandas… À un moment, je me suis pris de passion pour le cinéma, et je voulais être monteuse de films. Pas réalisatrice, pas scénariste, pas actrice. Je voulais vraiment travailler sur le montage : j’aimais bien le côté minutieux de l’assemblage des images pour donner l’ambiance et le suspense au résultat final.

Au lycée, je me suis donné l’opportunité de prolonger encore le moment du choix professionnel fatidique en partant en prépa puis en école de commerce. Je me disais que ça ouvrait le champ des possibles au maximum.

J’ai commencé à faire des expériences dans le cinéma. Dès la prépa, j’étais membre d’un jury du Festival du film de Paris. Pendant une semaine, j’ai mangé du film. Par la suite, j’ai fait mes stages dans le milieu du cinéma, par exemple, sur le tournage d’un moyen métrage avec Marina Foïs et Audrey Tautou ! J’ai aussi fait un an de stage chez AlloCiné. Je m’occupais notamment d’un petit magazine distribué gratuitement dans les salles de cinéma, qui présentait les prochaines sorties. Ça m’a permis d’aller à Cannes, d’aller à Hollywood… J’ai adoré.

Mais, ça m’a aussi permis de toucher une certaine limite de ce domaine : la misogynie. Ça ne m’a pas du tout incitée à continuer dans cette voie.

En dernière année d’école de commerce, j’ai choisi le droit. Mon prof de droit de la propriété intellectuelle était absolument passionnant, il m’a fait découvrir cette matière juridique qui me permettait de combiner mon goût pour la création et le côté rigoureux du droit.

À l’époque, je me définissais comme « absolument pas créative ». Mais, le droit de la propriété intellectuelle me permettait de commencer à travailler avec des personnes qui l’étaient, de les accompagner dans leur création. Le côté strict, carré du droit me convenait davantage que le côté « foufou » de la communication et du marketing du cinéma.

— Laurent : Tu parles de misogynie. C’est ce que tu as ressenti lors de tes expériences ?

— Laetitia : J’ai surtout travaillé dans le marketing du cinéma. Sur le tournage du film, j’étais assistante régie, assistante de production, attachée de presse… un peu touche à tout. Mon stage a duré deux mois, c’était très sympa, et franchement, il n’y a eu aucun problème.

C’est plutôt quand je travaillais chez AlloCiné, dans les années 2000, c’était une autre époque… L’ambiance ne me convenait pas du tout.

— Laurent : AlloCiné était récent ?

— Laetitia : AlloCiné avait déjà 16 ou 17 ans quand il a été racheté par Messier et Universal en 2001 ou 2002. Ça a été l’explosion totale. C’était la bulle Internet. À mon arrivée, nous étions une vingtaine, et quand j’en suis partie au bout d’un an, nous étions 120 !

— Laurent : J’ignorais qu’AlloCiné existait avant le web !

— Laetitia : Ça s’appelle AlloCiné parce que c’était par téléphone, au tout début. D’après mes souvenirs de rapport de stage, le service téléphonique a été fondé en 1994 : on y trouvait les horaires des films, des jeux concours…

— Laurent : J’ai déjà appris quelque chose aujourd’hui ! 🙂

La propriété intellectuelle et industrielle, qu’est-ce que c’est ?

— Laurent : Avant de parler de ton rapport à la créativité, peux-tu expliquer en quelques mots ce qu’est la propriété intellectuelle et industrielle ?

— Laetitia : Dans la grande famille du droit de la propriété intellectuelle, il y a deux types de droit : celui de la propriété littéraire et artistique, également appelé droit d’auteur pour simplifier, et les droits de propriété industrielle, où on retrouve les marques, les brevets, les dessins et modèles. Ce sont les trois plus grands titres de propriété industrielle.

On distingue les deux, notamment parce que le droit d’auteur ne répond à aucun formalisme d’enregistrement, alors que les titres de propriété industrielle sont obtenus par le biais d’un dépôt. En France, c’est auprès de l’INPI, l’Institut national de la propriété industrielle, avec tout un formalisme d’examen et de délivrance de titres. Le droit d’auteur, lui, naît dès la création.

Le droit d’auteur et les droits de propriété industrielle sont régis par le Code de la propriété intellectuelle, dans lequel on trouve tous les articles de loi encadrant la protection des créations et des inventions.

Sa définition de la créativité

— Laurent : Comment définirais-tu la créativité ?

— Laetitia : Je dirais que la créativité, c’est le pas de côté, la liberté de pensée et d’expression. C’est le petit truc à part, qui fait qu’on va raisonner ou s’exprimer différemment de la majorité, en dehors d’une certaine norme. C’est savoir sortir de la case.

— Laurent : Ça me fait penser à l’expression, en anglais, « to think outside the box ». On y retrouve la même idée. C’est aussi ce qu’on appelle la « pensée divergente », je ne sais pas si tu as déjà entendu ce terme-là.

— Laetitia : En opposition à la pensée convergente, où tout le monde pense la même chose ?

— Laurent : Oui, la pensée convergente, c’est la pensée « traditionnelle », les premières choses qui viennent. La pensée divergente, c’est le pas de côté dont tu parles. Face à un problème à résoudre, il y a la solution la plus évidente, mais peut-être pas la meilleure. On va creuser, par exemple, en allant chercher dans d’autres disciplines…

Tu es la première de mes invité·es à associer liberté de pensée et d’expression à la créativité. Tu veux dire que sans la liberté de penser ou de s’exprimer comme on le souhaite, pas de créativité ?

— Laetitia : Oui, par la force des choses. Que tu sois contraint par un mode de pensée ou par une éducation trop rigide… Si tu ne te sors pas de ce carcan, ta créativité est éteinte, c’est sûr.

— Laurent : En effet. En ce moment, on parle beaucoup des femmes en Afghanistan. Je me demande si un tel niveau de contrainte ne génère pas une autre forme de créativité. Tu dois trouver des astuces, ne serait-ce que pour lire un livre, par exemple.

— Laetitia : Avec les talibans, on est dans un cas extrême, en matière d’oppression.

Si on s’en tient à la France, je pense que l’éducation peut déjà constituer un carcan. Certains s’y complaisent, n’en sortent pas et n’accèdent pas à cette créativité, cette « fantaisie ». Les deux vont ensemble, selon moi.

Ce qu’on a reçu quand nous étions petits peut nous enfermer et nous rendre chiants, disons-le 🙂

— Laurent : Tu soulèves un point intéressant : il faudrait avoir conscience que nous sommes dans un carcan, que nous ne sommes pas libres de penser, pour pouvoir essayer d’en sortir.

— Laetitia : On peut aussi faire le libre choix d’y rester, ce n’est pas incompatible.

L’expression de cette fantaisie qu’on a tous en nous, de manière inhérente, peut être étouffée… mais également rejaillir à n’importe quel moment, comme les volcans d’Auvergne 🙂

Son parcours créatif

— Laurent : Enfant, quel était ton rapport à la créativité ? As-tu eu une enfance créative ?

— Laetitia : J’aurais tendance à dire : pas du tout. Dans ma famille, j’étais celle qui avait deux mains gauches. Je dessinais, mais je n’ai pas continué, contrairement à mon grand frère qui aimait ça et a persévéré dans cette direction.

J’ai aussi fait de la musique en même temps que lui, en revanche, il était beaucoup plus passionné par la pratique artistique.

Je pense d’ailleurs que j’ai confondu créativité et pratique artistique.

— Laurent : Quelle serait la différence ?

— Laetitia : Je mets sur un piédestal les artistes capables de créer des choses à partir de trois crayons. J’ai découvert assez tardivement qu’il ne s’agissait pas d’une question de don, mais de travail. Et je n’ai pas travaillé ce côté-là.

Pour autant, je ne suis pas du tout frustrée. Je passais mon temps dans les bouquins : à partir du moment où j’ai su lire, je n’ai plus lâché mes livres. Ce n’est pas un exemple, en termes de créativité 🙂

— Laurent : La lecture peut aussi susciter la créativité, on construit des récits imaginaires…

— Laetitia : Comme pour beaucoup de gros lecteurs, c’était d’abord un moyen de m’évader. Dans les livres, je trouvais des paysages, des histoires qui changeaient de l’ordinaire.

En revanche, en préparant ce podcast, j’ai réalisé que ma créativité s’exprime dans l’humour. Depuis très longtemps, j’ai cette fâcheuse tendance à chercher à faire des jeux de mots en permanence. Déjà toute petite, je m’amusais à transformer les phrases, les mots : c’est de cette façon que s’est développé le peu de créativité dont j’ai pu faire preuve !

— Laurent : Tu l’as travaillé, ou c’est quelque chose que tu fais naturellement ?

— Laetitia : C’est complètement naturel 🙂

Il y a quelques années, une amie m’a dit : « Laetitia, tu ne peux pas tout risquer pour un bon mot. » J’ai trouvé ça intelligent, parce que je ne contrôle pas !

— Laurent : Cela signifie que, parfois, ça laisse la voie à des jeux de mots un peu foireux ? 🙂

— Laetitia : Complètement ! Tout n’est pas bien 🙂

Mais aussi, en mûrissant, j’ai réalisé que j’avais pu blesser des personnes sans m’en apercevoir. J’ai appris à contrôler, à réfléchir avant de parler. Je fais attention, maintenant.

Sans tomber dans la moquerie, j’ai pu, par exemple, passer pour une jeune femme très à l’aise, parce que j’étais tout le temps en train de blaguer. Certaines personnes l’ont mal vécu, sur les premiers moments. Une fois qu’ils me rencontraient vraiment, me connaissaient davantage, ils s’apercevaient que j’étais très sympathique 🙂

— Laurent : Je n’en doute pas 🙂

Tu évoquais le trombone, tout à l’heure. À quel âge as-tu commencé à en jouer ?

— Laetitia : À 35 ans.

— Laurent : C’est récent !

— Laetitia : Oui ! À six ans, j’ai commencé par la flûte à bec. Je suis passée à la flûte traversière au collège. J’ai arrêté de pratiquer mon instrument durant les études supérieures, avec les déménagements… J’ai repris en 2012 ou 2013. Quelques semaines avant les fêtes, mon frère m’avait lancé : « Allez, on fait un duo flûte et ukulélé pour Noël ! »

Grâce à mon lui, je suis retournée dans un orchestre avec ma flûte.

Elle était dans un carton depuis 20 ans, il fallait déjà que je la retrouve ! Ça m’a remis le pied à l’étrier.

C’est une époque où j’ai changé : j’ai fait la crise de la quarantaine à 35 ans 🙂 J’ai gardé le chat et la maison, mais j’ai changé de boulot et d’instrument de musique ! Dans l’orchestre que j’ai rejoint, là où j’habitais à l’époque, il y avait deux trombonistes. Ça m’a donné l’envie de passer au trombone !

J’ai choisi ce gros cuivre, qui fait du bruit par rapport à la flûte. Je pense que cet instrument répondait à un besoin d’affirmation, il me permettait de dire :

Je suis là, j’existe ! Désormais, vous ne pourrez pas ne pas me voir, ne pas m’entendre.

C’était il y a neuf ans, et je ne l’ai plus lâché. J’adore ! C’est un instrument assez rare. Il y a assez peu de trombonistes, là où j’habite, j’ai donc été de plus en plus sollicitée par des orchestres qui manquent de trombonistes. J’avoue que c’est très agréable pour l’égo. Je n’ai pas un super niveau, mais tout ce qui compte, c’est que je m’amuse… et que je ne foire pas trop les morceaux, quand on me demande de jouer en ensemble !

Le trombone est un instrument d’ensemble, ce qui était également important pour moi. Jouer tout seul du trombone, ce n’est pas très amusant, tandis qu’avec d’autres musiciens, c’est vraiment grisant.

— Laurent : En préparant le la conversation, tu m’expliquais que si tu jouais de la musique, tu ne te sentais pas créative pour autant, parce que tu ne faisais que jouer les œuvres des autres, que tu ne composais pas.

En revanche, là, juste avant le début de l’enregistrement, tu me disais que finalement, en y ayant réfléchi, tu te considérais un peu comme créative…  

Je te repose donc la question : es-tu une personne créative ? 🙂

— Laetitia : Si je reviens à la définition que je donnais en début d’interview, quand j’assimilais créativité et fantaisie, oui, je suis créative. Je fais toujours ce pas de côté.

Je continue les jeux de mots plus ou moins foireux ou valables. Ça dépend, si tu vois le verre d’eau à moitié plein ou à moitié vide 🙂

Je suis aussi incapable de reproduire deux fois la même recette de cuisine : à chaque fois, je la modifie, j’ajoute quelque chose… Pourtant, la cuisine était une pièce de la maison que je fréquentais peu !

Je suis créative lorsque je joue avec les enfants : je lis les règles du jeu, mais au bout d’un moment, il se peut que ça parte en quenouille.

— Laurent : Déformer les règles des jeux de société, c’est le plus sympa 🙂

— Laetitia : C’est une petite créativité quotidienne.

— Laurent : C’est intéressant, et ça illustre parfaitement ce que je souhaite montrer dans ce podcast : la créativité s’exprime de nombreuses façons, pas uniquement par la peinture, la danse, la littérature… On peut faire preuve de créativité dans son quotidien.

Je ne pense pas qu’il y ait des créativités qui valent plus que d’autres, elles s’expriment juste différemment, selon le moment, les circonstances.

La finalité n’est pas non plus la même. Dans ton cas, si je comprends bien, c’est plutôt pour divertir. Pour d’autres, c’est le besoin d’exprimer des choses…

Droit et créativité

— Laetitia : Je me montre aussi créative dans mon métier. Le droit est strict, carré. Il y a des lois, on les applique. L’intérêt d’un juriste, selon moi, c’est de chercher, pour ses clients, comment contourner le droit pour trouver des solutions applicables, logiques et légales, évidemment ! 🙂

— Laurent : Je comprends que la créativité puisse être utile dans le droit. Tu vas, par exemple, chercher dans l’ensemble des lois la « faille », la zone d’ombre que tu peux exploiter, tout en restant dans la légalité. C’est la pensée de côté dont tu parlais tout à l’heure : constater ce que dit et ne dit pas un texte de loi…

— Laetitia : Encore une fois, c’est jouer sur les mots 🙂

Les textes de loi sont précis, pour éviter les quiproquos, les malentendus. Ce qui est intéressant, c’est d’aller voir la jurisprudence et la façon dont les magistrats interprètent ces textes au fil du temps.

— Laurent : Oui, les mots ont beau être précis, ils peuvent être interprétés différemment.

— Laetitia : C’est du cas par cas. Le droit, c’est de la broderie.

Stimuler sa créativité

— Laurent : Aujourd’hui, cherches-tu à développer, à stimuler ta créativité ? Comment ?

— Laetitia : Oui ! J’ai un exemple très récent : cet été, à la dernière minute, j’ai participé à un stage de musique, d’orchestre, de jazz et d’impro. Je ne l’avais encore jamais fait.

J’ai découvert un répertoire musical complètement nouveau. Nous étions quarante musiciens, entourés de cinq professionnels. Nous avons eu trois jours pour monter un concert, et j’ai découvert plein de choses, à commencer par les 39 autres musiciens que je ne connaissais absolument pas. Mais aussi le style musical, le chef, la façon dont il dirigeait… J’ai également découvert l’impro. D’ailleurs, je pense qu’à la rentrée, je demanderai à mon prof de trombone de me faire travailler les techniques d’impro.

— Laurent : On croit souvent, à tort, qu’improviser, c’est partir dans tous les sens, mais au contraire, c’est très cadré, et c’est justement parce qu’il y a un cadre qu’on peut improviser.

— Laetitia : Exactement ! Comme le droit 🙂

Créative « par procuration »

— Laurent : En préparant cet entretien, tu m’as aussi dit que ton métier te permettait d’être créative « par procuration ». Cette formulation me parle beaucoup : je ressens la même chose avec ce podcast !

Peux-tu préciser ce que tu entends par là ?

— Laetitia : Ma spécialité juridique est vraiment une niche. Ce n’est généralement pas la priorité des chefs d’entreprise de s’intéresser au Droit de la propriété intellectuelle.

J’ai la chance de travailler avec des porteurs de projets très en amont de la concrétisation de leurs produits. Je suis dans un domaine juridique à visée industrielle plus qu’artistique.

Par exemple, j’ai un client qui était kiné, quand je l’ai connu en 2015. Il avait eu une idée pour améliorer la cicatrisation des plaies de ses patients. Aujourd’hui, il a créé son entreprise, il a je ne sais plus combien de brevets, on a déposé ses marques dans une vingtaine de pays, il développe sa gamme de cosmétiques à l’export… C’est une histoire incroyable, et ça me plaît énormément d’intervenir le plus en amont possible des projets, d’accompagner les créateurs. Parfois, ça ne marche pas ! Mais cet exemple est très positif, alors qu’il a rencontré de nombreuses difficultés.

Je touche à tous les domaines, c’est très chouette de ne pas me sentir enfermée dans un secteur industriel particulier. Je travaille avec des agences de communication, des vignerons, une grosse boîte industrielle cotée en bourse qui fait des compléments alimentaires, ce client dans les cosmétiques, des associations, des particuliers, des coachs en tout et n’importe quoi… C’est très varié ! Mes clients, beaucoup plus créatifs que moi, me donnent l’opportunité de partager leurs projets !

— Laurent : Dirais-tu que, par ton action, tu contribues à leur créativité ?

— Laetitia : Oui, d’une certaine manière, mais je ne sais pas s’ils en ont tous conscience.

En tant que chef d’entreprise, ils doivent penser à dix mille choses en même temps. Je les soulage d’un tout petit pourcentage de tout ce qu’ils ont à faire et à penser. Ça laisse plus de place à leur créativité !

— Laurent : C’est un petit pourcentage, mais il est essentiel : ça permet de protéger le résultat de sa créativité. Si ce n’est pas fait, potentiellement, tout son travail peut être réduit à néant !

Ça ne te frustre pas d’être entourée de personnes plus créatives que toi ?

— Laetitia : Pas du tout 🙂

Je n’ai jamais rêvé d’être artiste, peintre, comédienne, écrivaine… Je suis plutôt en admiration que jalouse !

Je n’aurais jamais pensé créer mon entreprise un jour, et pourtant, j’ai fait preuve d’un grand courage et de beaucoup de créativité en quittant le salariat pour monter mon cabinet. Cela me permet aussi de comprendre les problématiques auxquelles sont confrontés mes clients chefs d’entreprise, même si nos structures n’ont pas la même taille !

— Laurent : Tant mieux, car il serait sûrement compliqué de faire ton métier si la jalousie ou la frustration s’en mêlaient ?

— Laetitia : Complètement !

Pendant plusieurs années, j’ai fréquenté le domaine des auteurs de bande dessinée, des photographes… C’était très chouette, mais j’ai vraiment senti que ce n’était pas mon domaine. J’étais contente d’aller sur les festivals, mais quand je vois la masse de travail que ça représente pour faire une BD qui sera lue en 20 minutes, je comprends que ce soit frustrant pour le créateur 🙂

Protéger le fruit de sa créativité

— Laurent : Je te propose de rentrer dans le vif du sujet de la protection intellectuelle. Pourquoi aurait-on intérêt à protéger le fruit de sa créativité ?

— Laetitia : La philosophie du droit de la propriété intellectuelle, c’est de récompenser l’effort créatif en lui accordant un monopole pendant un temps donné. Ça permet à l’inventeur d’une nouvelle technologie, d’un produit, ou à l’auteur d’une œuvre de pouvoir récolter le fruit de son travail.

C’est un droit évolutif, il n’est pas né comme ça, à la Révolution industrielle 🙂 On trouve sa trace dès les premiers échanges commerciaux entre les peuples : à l’époque gallo-romaine, la contrefaçon ou le plagiat de jarres de vin existait déjà !

Au 18ᵉ siècle, Beaumarchais a fait du lobbying en faveur de la protection des auteurs. Jusqu’alors, les écrivains consacraient un temps fou à écrire leur œuvre pour que, finalement, les imprimeurs et les éditeurs récoltent le fruit de la vente des livres. Le droit d’auteur est né de ce constat, pour que les auteurs puissent toucher une rémunération sur leur œuvre de leur vivant.

En matière de brevets, c’est la même chose. Dans le domaine industriel, on réalise des investissements financiers, on fait de la R&D pendant plusieurs années… Le brevet accorde un monopole à l’inventeur, sur un temps donné, pour qu’il puisse vendre son produit sans que les concurrents arrivent immédiatement avec des produits équivalents. Il permet d’attaquer en contrefaçon un concurrent qui copie, et de préserver ses parts de marché.

— Laurent : J’aime beaucoup ta formulation, « récompenser » l’effort créatif.

Pour être en transparent, tu m’as aidé à protéger le nom du podcast. Au début, je ne percevais pas tellement l’intérêt, j’étais plutôt dans une démarche open source : mes contenus sont là, faites-en ce que vous voulez !

Cet aspect « récompense », je ne l’avais pas pensé. Je voyais plutôt le côté procédurier, dans lequel je ne me reconnaissais pas.

Quand on est créatif, il est intéressant de protéger son travail, même si on le met dans le domaine public. Cela évite les mauvaises contrefaçons ou le plagiat.

— Laetitia : Open source et droits de la propriété intellectuelle ne sont pas incompatibles. Mais je comprends que « propriété intellectuelle » puisse faire couiner un peu, avec sa connotation « gros capitaliste tenant absolument à préserver ses droits » 🙂

Pourtant, de nombreux brevets sont en libre accès. Je ne parle pas de « domaine public », car c’est un terme juridique qui répond à une définition particulière.

Par exemple, la ceinture de sécurité à trois points qu’on connaît aujourd’hui a été développée par Volvo dans les années 50. Consciente des enjeux sur le plan de la sécurité et de la santé publique, l’entreprise a fait le choix de déposer un brevet en libre accès. C’est-à-dire qu’elle a accordé le droit à ses concurrents de copier la ceinture de sécurité à trois points : elle ne les attaquerait pas en contrefaçon. Néanmoins, si un concurrent avait utilisé le brevet à mauvais escient, d’une mauvaise manière, ou dans un but préjudiciable, Volvo se réservait le droit de l’en empêcher à travers son brevet.

— Laurent : Dans un cas comme celui-là, le brevet protège l’usage de l’invention plutôt que l’invention elle-même ? Il évite que la ceinture à trois points soit détournée en un instrument de torture, ou pour ligoter quelqu’un plutôt que pour le sécuriser, par exemple ?

— Laetitia : Exactement.

Le vaccin contre la polio constitue aussi un exemple intéressant. Il fut développé par un médecin chercheur universitaire qui a décidé, compte tenu des enjeux de santé publique, de le laisser complètement en libre accès.

On en a de nouveau entendu parler au moment de la mise sur le marché des vaccins contre le COVID. En disant que les laboratoires pharmaceutiques ne voulaient pas partager le brevet, les médias ont omis de rapporter ce qu’expliquaient les experts en propriété intellectuelle. En réalité, il n’y a pas un brevet, mais une vingtaine, qui existent depuis quinze ans. Mais autour du brevet, il y a aussi un savoir-faire. La question de mettre les brevets dans le domaine public ne se posait même pas : de toute façon, il fallait former les équipes, et ça n’était pas compatible avec les délais impartis. C’est un autre débat.

Ce qu’on peut protéger

— Laurent : Que peut-on protéger, concrètement ?

Protéger un podcast

— Laurent : Cet épisode de podcast, par exemple, peut-on le protéger ? Cela présenterait-il un intérêt ?

— Laetitia : La façon dont tu mènes le podcast, son plan, sont protégeables par le droit d’auteur, puisque ce podcast est issu de ta réflexion personnelle, et que tu as exercé un travail intellectuel pour le construire. Selon moi, ton droit d’auteur pourrait s’exercer concernant le contenu, c’est-à-dire qu’un tiers ne peut pas reprendre des extraits de ce podcast sans ton autorisation.

— Laurent : Et si je décide de le mettre en licence Creative Commons ?

— Laetitia : Le plus souvent, dans les termes des Creative Commons, l’usage commercial du contenu est interdit.

— Laurent : Oui, et il demeure toujours au moins l’obligation d’attribution.

— Laetitia : Donc, il y a quand même respect du droit d’auteur, même si tu mets ton contenu en libre accès.

Protéger le titre d’une œuvre

— Laurent : Peut-on protéger le nom d’une toile de peinture ?

— Laetitia : Si le nom est original et pas descriptif, si ce n’est pas « Toile de peinture », par exemple, il peut être protégé avec le droit d’auteur, voire à titre de marque.

Il y a eu des cas dans lesquels il a été reconnu un droit d’auteur sur le titre d’une œuvre, d’un roman ou d’un film. Il faut que ça réponde à la définition juridique légale du droit d’auteur, à savoir qu’il s’agit d’une « œuvre de l’esprit portant l’empreinte de la personnalité de son auteur. »

— Laurent : Comment peux-tu prouver cela, dans le cas du titre d’une toile ?

— Laetitia : On va chercher à déterminer si le nom est complètement original, s’il n’a pas déjà été utilisé par le passé, par un tiers pour également intituler une œuvre…

Protéger un roman

— Laurent : Au-delà du titre, peut-on déposer l’œuvre complète, un roman, par exemple ?

— Laetitia : Un roman appartient à la catégorie des œuvres de l’esprit protégées par le droit d’auteur. Il n’y a donc pas de formalisme d’enregistrement. Le droit d’auteur naît dès la création : à partir du moment où tu commences à rédiger les premières lignes de ton roman sur ta page ou sur ton ordinateur, le droit d’auteur est là, déjà acquis à l’auteur, même si celui-ci n’a écrit qu’une seule phrase.

— Laurent : Donc il est déjà protégé même s’il reste sur mon ordinateur ? Je n’ai pas besoin de le déposer ?

— Laetitia : C’est ça. En revanche, si tu constates qu’un tiers édite exactement le même texte, il faudra quand même que tu prouves la date à laquelle, toi, tu l’avais rédigé… Si c’est resté sur ton ordinateur, ça risque d’être un peu compliqué.

Pour avoir une trace, tu peux l’éditer à compte d’auteur sur un site dédié, par exemple. Tu pourras dire « À telle date, j’avais déjà rédigé ce texte. Mon ordinateur a été hacké, ou volé, et telle personne n’a fait qu’imprimer ce que j’avais déjà écrit. »

Protéger une méthode

— Laurent : Imaginons que j’invente une nouvelle façon de jouer du trombone, ou de la flûte traversière ? Peut-on protéger un procédé de ce type ?

— Laetitia : En Europe, il n’existe pas de protection sur une méthode ou une technique comme celle-ci. Aux États-Unis, ce serait possible, on peut y poser des brevets sur tout et n’importe quoi : les postures de yoga, le swing au golf…

En France, je pense qu’on pourrait protéger ça comme les méthodes mathématiques, éventuellement, avec du droit d’auteur.

En revanche, si le résultat de cette nouvelle méthode apporte « une solution technique à un problème technique »… Par exemple, si quelqu’un découvre qu’en jouant ainsi, on peut réussir à sortir un contre-ut avec une flûte traversière, ce qui n’avait jamais été fait auparavant… Pourquoi pas un brevet ?

C’est très théorique 🙂

— Laurent : Je sais que cet exercice n’est pas évident 🙂

— Laetitia : Là, le coup de la flûte traversière… 🙂

— Laurent : Je fais appel à ta créativité pour protéger ma super invention 🙂

Des animaux artistes ?

— Laurent : Imaginons que mon chat, que j’estime être un artiste, fasse une petite œuvre avec ses pattes. Pourrais-je la protéger ?

— Laetitia : C’est un gros débat, actuellement, entre juristes. Il y a eu le sujet des éléphants peintres, des ânes qui réalisaient des toiles, le selfie du singe…

Le problème, c’est que si on reconnaît un droit d’auteur à un chat, ça veut dire qu’on lui reconnaît une personnalité en tant qu’individu, donc un droit à la personne, on le considère comme un être humain…

Ce selfie, réalisé par un singe, a posé la question du droit d’auteur pour ce type de photo. Dans le doute, les crédits de la photo sont attribués au propriétaire de l’appareil : David J Slater / Wildlife Personalities Ltd.

— Laurent : Ça implique beaucoup de choses, derrière 🙂

— Laetitia : En tant qu’animal domestique, il a déjà beaucoup de droits, le droit des animaux domestiques est d’ailleurs assez récent. En effet, il y a une implication théologique conséquente, derrière.

— Laurent : La question n’est, en effet, pas anodine : la propriété intellectuelle ou industrielle soulève un tas d’enjeux dont nous ne sommes pas forcément conscients.

— Laetitia : Le Droit de la propriété intellectuelle est un droit d’exception : dans notre société, dans notre économie de libre marché, les monopoles sont interdits, à l’exception du monopole accordé, pour un temps donné, aux inventeurs, aux créateurs. Des critères précis régissent ce monopole juridique. Tout n’est pas protégeable, mais beaucoup de choses le sont, quand même 🙂

Pour en revenir au chat, à partir du moment où c’est le maître qui a fourni la peinture, la toile et qu’il le nourrit, je pense qu’on va le raccorder à son maître. C’est ce dernier qui va toucher l’argent, parce que le chat n’a pas de compte en banque 🙂

Le droit à la propriété intellectuelle récompense un travail intellectuel. On ne peut pas réellement parler de travail intellectuel concernant le chat qui balaye sa queue au hasard sur une toile, parce que son maître lui a collé des peintures dessus. Je ne pense pas qu’on puisse qualifier le résultat d’œuvre de l’esprit protégeable par le droit d’auteur.

— Laurent : Il y a donc une notion d’intentionnalité ? Par exemple, si je gribouille un petit quelque chose, comme ça, au hasard, ce n’est pas forcément protégeable ?

— Laetitia : Tout dépend. Si ce gribouillis, tu le jettes à la poubelle, qu’il est récupéré par quelqu’un qui en fait une œuvre présentée sur les marchés de l’art, sur laquelle on spécule à un million d’euros… Peut-être que tu voudras revendiquer un droit d’auteur dessus 🙂

Droit et IA, quels garde-fous ?

— Laurent : J’ai deux questions concernant les IA. La première, c’est : comment peut-on empêcher les œuvres numériques ou exposés sur le web d’être pillées par les IA ? Est-ce seulement possible ?

— Laetitia : Ce sujet des IA est tellement récent, ça évolue tous les jours. Il y a une prise de conscience. Les plus gros développeurs d’IA se sont réunis il y a quelques semaines pour essayer de mettre au point une charte de l’IA. Il ne me semble pas qu’aujourd’hui, une solution existe, et c’est un problème.

Cependant, le pillage d’œuvres sur Internet n’a pas attendu les IA pour prospérer. Je connais des graphistes ou des photographes qui ont retrouvé des reproductions d’une œuvre présentée sur leur site Internet ou leur blog, sur des marchés, dans des magasins de prêt-à-porter de grandes marques… Le moyen de protection contre ça, c’est de mettre de la basse déf 🙂

— Laurent : En effet, ce n’est pas nouveau, mais le phénomène prend une tout autre ampleur, par rapport au cas du graphiste qui retrouve sa photo sur un t-shirt, tout de même assez « marginal ».

Avec les IA, n’importe quel contenu est pillé. Pour protéger les contenus textuels, il existe un moyen de bloquer les robots de ChatGPT ou autres, mais je doute que ça soit respecté. De plus, cela ne concerne que les nouveaux contenus, pas ceux qui sont déjà publiés.

On parle également de plus en plus d’apposer une sorte de filigrane pour identifier les images générées par les IA. Ça n’empêche pas le vol non plus : sur les réseaux, sur les sites Internet, on voit encore des photos de banques d’images avec le filigrane parce que des personnes n’ont pas voulu payer.  Pourtant, ça ne coûte pas très cher…

— Laetitia : À moins d’espérer une mutation génétique de l’humain qui lui ferait accueillir le gène de l’éthique, de la déontologie et du respect de l’autre, je ne vois pas de solutions. Le plagiat remonte à la nuit des temps, l’IA ne change rien.

Un autre phénomène numérique, les NFT, a constitué, jusqu’à cette année, un sujet magnifique, sur le plan des droits d’auteur… Je dis ça avec ironie 🙂

— Laurent : Tout de même, la blockchain était prometteuse.

— Laetitia : Certes. J’entends parler de la blockchain en matière de propriété intellectuelle depuis dix ans. Pourtant, concrètement, je ne constate rien, aucun impact pour mes clients.

Les NFT, quant à elles, ont entraîné une spéculation incroyable pour des captures écran d’une image ne donnant aucun droit sur l’image. C’était fou !

Et là, en 2023, on n’en entend plus parler. De nombreuses plateformes de NFT ont fermé, de nombreux détenteurs de bitcoins ont beaucoup perdu. On prend conscience qu’acheter un NFT n’accorde aucun droit sur l’image « certifiée ». C’est un phénomène très intéressant, du point de vue juridique.

— Laurent : Tout évolue très rapidement sur ces sujets. Nous sommes en septembre 2023, alors que nous enregistrons cet épisode. Dans un mois, nos propos seraient différents.

— Laetitia : C’est ce qui est intéressant, avec le droit, souvent perçu, à tort, comme chiant. Le droit évolue avec la société. Ça maintient jeune 🙂

Parfois, c’est trop ! Le buzz sur les réseaux sociaux, les débats d’actualité, de société aboutissant à la création de lois en permanence, c’est délirant ! Les magistrats n’en peuvent plus.

Je donne des cours à des étudiants. Je réactualise mes cours tous les ans. Tout d’abord, parce qu’ils rajeunissent chaque année, je ne comprends pas 🙂 Mais surtout pour ne pas leur servir des exemples d’il y a 10 ans !

— Laurent : Lorsqu’on crée une œuvre à l’aide d’un générateur basé sur l’IA, qu’elle soit textuelle, graphique ou sonore, comment peut-on s’assurer qu’on n’enfreint aucune règle de propriété intellectuelle ? Ensuite, comment s’assurer qu’on est propriétaire de l’œuvre ?

— Laetitia : C’est impossible à savoir, il faut donc croiser les doigts pour que, si une œuvre existante est réutilisée dans le résultat final, celle-ci ne soit pas reconnaissable par son auteur, qu’il ne retrouve pas tes coordonnées…  

D’où l’intérêt de cette réunion des plus gros développeurs d’IA : que vont-ils mettre en place, dans leur charte, sur ce sujet ?

— Laurent : Ce sont les entreprises travaillant sur les IA qui se regroupent, c’est intéressant. À aucun moment, le législateur n’est pas là ?

— Laetitia : Pour le moment, du point de vue du droit d’auteur, à part dire « Il y a un risque », on ne peut rien faire.

Intelligence artificielle, plagiat et contrefaçon

— Laetitia : Cependant, aujourd’hui, l’auteur qui reconnait un bout de son œuvre dans un résultat final généré par IA peut utiliser le droit d’auteur pour se défendre. Il peut affirmer qu’il n’a jamais autorisé à ce que son œuvre soit reproduite dans une œuvre tierce. Elle est déjà là, la loi !

— Laurent : Je reviens sur la question de l’intentionnalité. L’IA fait un assemblage mathématique…

— Laetitia : Oui, mais à partir des instructions d’un humain, qui a fixé des critères.

— Laurent : Alors qui est responsable du plagiat ? L’entreprise qui a mis au point l’IA ou la personne qui a écrit le prompt ?

— Laetitia : Tout le monde ! En matière de contrefaçon, tous les maillons de la chaîne peuvent être accusés.

Je te propose un exemple plus concret. Je fabrique et je vends, en France, un modèle de chaussure. Un concurrent fait fabriquer les mêmes chaussures en Chine, les fait arriver sur le marché français, dans un quelconque réseau de magasins.

En tant que fabricant, créateur du modèle original de chaussures, je peux attaquer en contrefaçon tous ceux qui ont participé à un moment ou à un autre. Je peux attaquer le client final, donc la personne qui achète les chaussures en magasin. Je peux attaquer le revendeur, donc le propriétaire du magasin dans lequel j’ai trouvé les contrefaçons de ma chaussure. Je peux attaquer celui qui a fait fabriquer en Chine. En revanche, je ne pourrais pas attaquer celui qui possède l’usine en Chine, parce que je n’ai pas de droit de propriété intellectuelle en Chine.

Donc, dans le cas d’une œuvre générée par IA, je peux attaquer celui qui a donné les instructions à l’IA. Pas de chance pour lui, il est peut-être contrefacteur de bonne foi 🙂

Je peux aussi attaquer celui qui a développé l’IA et qui n’a pas été attentif au respect des droits d’auteur des tiers.

Protéger une conversation

— Laurent : Dans le cas d’un format accueillant un invité, comme ce podcast, ou une vidéo sur YouTube, la personne invitée peut-elle aussi faire valoir des droits d’auteur ? En tant que producteur du podcast, je devais demander une cession de droits d’auteur ?

— Laetitia : Ça serait aller un peu loin, quand même ! Ça reviendrait à reconnaître un droit d’auteur sur ce que je suis en train de dire. Ce n’est pas une œuvre de l’esprit, nous dialoguons, je réponds à tes questions… Il y a un travail intellectuel parce que je réfléchis avant de répondre. Mais c’est une conversation, je n’ai rien préparé en amont, je n’ai pas d’intention, comme on le disait tout à l’heure.

Protéger une œuvre « spontanée »

— Laurent : Et un artiste qui fait un freestyle en live dans une émission musicale ? Son freestyle pourrait être protégé ?

— Laetitia : Oui. Là, il y a quand même une œuvre de sa part en tant que musicien. On parle ici de droit de reproduction, de diffusion d’une œuvre créée, même spontanément. Ça reste une œuvre de l’esprit, dans le style défini de l’artiste… On reconnaît son œuvre, même si elle est improvisée sur le plateau le jour-même.

Cela dit, je pense qu’en amont de l’émission, c’est déjà négocié 🙂

Protéger une idée

— Laurent : À partir de quand peut-on protéger une œuvre ?

Comme tu l’as expliqué, dans le cadre du droit d’auteur, il existe dès les prémices, sous réserve d’un moyen de prouver la date.

Dans le cas d’une invention dans un domaine industriel, faut-il protéger l’idée ou le résultat final ?

— Laetitia : C’est le résultat final. Un autre principe est important, en matière de propriété intellectuelle, c’est celui des idées « de libre parcours ».

On ne peut pas protéger une idée. Une même idée, donnée au même moment à deux personnes isolées l’une de l’autre, donnera un résultat différent en fonction de leur formation, leur réflexion, leurs habitudes…

L’idée est intangible. Ce que tu vas pouvoir protéger, c’est la façon dont tu l’as rendue concrète.

— Laurent : Même avec soi-même ! L’idée telle qu’elle nous vient aura parfois complètement évolué après un instant, deux heures, deux mois…

— Laetitia : Exactement !

C’est un cas que je rencontre. Il arrive qu’une personne vienne me voir en me disant : « J’ai une super idée ! ». Ce qu’elle espère, c’est de ne plus jamais avoir besoin de travailler en vendant son idée à quelqu’un qui se tapera tout le boulot de concrétisation, de protection, de commercialisation…

Dans le métier de juriste, c’est sympa, nous sommes parfois amenés à casser les rêves des gens. Nous avons un côté rabat-joie qui peut être assez satisfaisant, quelquefois 🙂

— Laurent : Je savais que c’était un métier de sadique 🙂

— Laetitia : Mince, nous sommes découverts !

Même l’idée d’un roman n’est pas protégeable. Tant que tu n’as pas commencé à rédiger sur papier ou clavier, tant que tu n’as pas élaboré un plan de ton déroulé, de ton histoire, il n’y a pas de droits d’auteur.

C’est une fois qu’une idée est rendue tangible que tu vas pouvoir commencer à envisager une protection.

Il y a aussi des idées, en design, par exemple, que tu ne vas pas pouvoir protéger par un brevet, mais plutôt par un droit d’auteur. C’est le cas si tu commences à dessiner une chaise et que tu t’aperçois que, technologiquement parlant, il n’y a rien de nouveau. En revanche, tu peux envisager de protéger l’aspect esthétique par le droit d’auteur et/ou par le droit des dessins et modèles, qui protègent l’apparence extérieure d’un objet. La protection va donc aussi parfois se définir au fur et à mesure de l’évolution de ton projet.

Les différents titres de propriété intellectuelle et industrielle

— Laurent : Je te propose de faire une petite parenthèse pour bien comprendre : concrètement, qu’est-ce qu’un brevet ?

— Laetitia : Bonne idée !

On protège par brevet « une solution technique à un problème technique », sous réserve que celle-ci soit nouvelle, d’application industrielle, et qu’elle fasse l’objet d’inventivité, qu’elle ne soit pas évidente pour quelqu’un du métier.

Ce sont des définitions juridiques très précises, je t’invite à aller lire le Code de la propriété intellectuelle, si tu veux aller plus loin.

— Laurent : Je passe mon tour 🙂

— Laetitia : Trois critères de validité sont examinés par l’Office auprès duquel tu demandes la protection.

Concernant la « solution technique à un problème technique », je suis souvent confrontée à des inventeurs m’affirmant : « Ce n’est pas nouveau, c’est évident ! » Cela leur semble évident, car ils travaillent depuis trois ans sur cette solution. C’est donc qu’a priori, le problème technique auquel ils étaient confrontés alors n’était pas résolu. Leur invention constitue donc bien une solution technique nouvelle à un problème technique, elle est donc brevetable.

— Laetitia : La marque, quant à elle, protège un signe distinctif pour un produit ou un service, permettant de les différencier de ceux des concurrents. La marque est le plus connu des droits de propriété intellectuelle, on la trouve dans notre quotidien.

— Laetitia : Enfin, le titre de dessin et modèle protège l’apparence d’un produit, sous réserve que celle-ci soit nouvelle et possède un caractère original.

Le droit d’auteur, comme on l’a dit tout à l’heure, est la protection pour une œuvre de l’esprit, portant l’empreinte de la personnalité de son auteur.

Comment protéger une œuvre ?

— Laurent : Concrètement, comment protéger une œuvre ? Est-il possible de le faire soi-même ? Est-ce obligatoire de s’adresser à quelqu’un comme toi ?

— Laetitia : Si je m’en tiens à l’œuvre de l’esprit, comme un plan d’immeuble pour un architecte, un aménagement intérieur, une sculpture, une peinture, une photo, un dessin, le droit d’auteur naît dès la création. Il n’y a donc rien à faire, aucun formalisme d’enregistrement. Mon conseil, c’est quand même d’avoir une date certaine de création. Ça peut être une enveloppe Soleau de l’INPI, un dépôt chez un notaire ou un huissier, un bon pour impression chez un imprimeur, un catalogue d’exposition, un article dans la presse… Tous les moyens de preuve sont bons à prendre, tant qu’il y a une date dessus !

— Laurent : Un simple courrier peut-il suffire ? Si je l’envoie à ma mère, par exemple, et qu’il contient l’œuvre ?

— Laetitia : Oui, et ça peut être aussi un recommandé, même envoyé à soi-même. En revanche, il ne faut pas que l’enveloppe ait été ouverte. Cependant, c’est un peu risqué sur le plan de la conservation. Pour autant, ça peut tout à fait constituer une preuve !

Ça peut également être une attestation de tiers qui dit « À telle date, mon fils m’a présenté son œuvre ». C’est tout de même mieux quand il n’y a pas de lien de filiation, d’autorité ou de hiérarchie.

En matière de brevet, de marque ou de dessin et modèle, il y a bien une procédure de dépôt, d’examen et de délivrance auprès de l’Office. En France, c’est l’Institut national de la propriété industrielle.

On peut le faire soi-même, on n’a pas forcément besoin de l’accompagnement d’un juriste expert en propriété industrielle, si on est suffisamment à l’aise avec les procédures. Cependant, j’en connais peu qui le font correctement !

Certaines agences de communication disent pouvoir faire le dépôt pour vous. Généralement, quelques mois ou quelques années plus tard, je récupère la marque qui nécessite d’effectuer un nouveau dépôt, bien propre.

J’aurais donc tendance à conseiller de s’adresser à un spécialiste quand on a un projet, que ce soit de brevet, de marque ou de dessin et modèle. Cela peut être un conseil en propriété industrielle, les permanences de l’INPI, présentes dans toutes les régions de France, leur ligne téléphonique. On peut aussi consulter un avocat, mais celui-ci doit vraiment être spécialiste uniquement en propriété intellectuelle.

— Laurent : Peut-on se voir refuser un dépôt, sous réserve que notre œuvre respecte les différents critères que tu as énoncés ?

— Laetitia : Si je prends l’exemple de la marque, il y a trois critères de validité : il ne faut pas que le signe choisi soit trompeur sur la qualité du produit qui va être vendu sous ce nom, il faut que le signe soit distinctif, il ne doit pas décrire les produits et services qui vont être vendus, enfin, il ne doit pas porter atteinte au droit antérieur d’un tiers.

L’INPI examine essentiellement le caractère licite de la demande, ainsi que la distinctivité. Par exemple, si l’INPI considère le terme choisi trop évocateur de la nature, de la qualité, de la destination des produits et services désignés dans le dépôt, il émet une notification de rejet. Il est possible de présenter des arguments pour défendre l’idée que le signe choisi n’est pas descriptif.

— Laurent : Tu as un exemple concret à nous proposer ?

— Laetitia : Oui, il s’agit d’un dossier reçu il y a quelques années. Mon client éditait un magazine de rap sous le titre Rap Mag, et il a déposé la marque. Celle-ci a été refusée par l’INPI parce que c’était descriptif. En soi, ils n’avaient pas tort, mais nous avons présenté en un certain volume de documents attestant d’un usage répété du nom Rap Mag, du fait que c’était connu, et que le titre du magazine était reconnu comme original par ses lecteurs. En misant sur l’historique du magazine, nous avons réussi à obtenir l’enregistrement de la marque Rap Mag pour des magazines.

— Laurent : Pourquoi est-ce gênant que ce soit descriptif ?

— Laetitia : Parce que si tu déposes « chocolat » pour du chocolat, on t’accorde un monopole. Sur ce terme-là, tu es le seul en France à pouvoir utiliser ce terme-là pour ces produits. Ça voudrait dire que tu pourrais empêcher tous les chocolatiers de France d’utiliser « chocolat » pour vendre des chocolats !

— Laurent : C’est pour cela qu’il y a parfois des problèmes sur des marques contenant des prénoms ou des termes très génériques ? Parce que cela empêcherait des usages ?

— Laetitia : Oui et non. Prenons l’exemple des thés Éléphant. C’est un terme du dictionnaire désignant un animal, mais pour des sachets de thé, c’est original. C’est donc acceptable en termes de marque. Ça ne le serait pas si j’avais un élevage d’éléphants 🙂

Droit d’auteur et arnaques

— Laurent : En préparant l’épisode, je me suis aperçu que beaucoup de requins et de personnes à la moralité un peu douteuse gravitaient dans ton domaine.

J’ai découvert, par exemple, que des personnes s’étaient spécialisées dans la chasse aux brevets, en déposaient, en rachetaient, même sans les exploiter, simplement pour pouvoir en tirer une licence commerciale.

Quand tu déposes une marque, tu reçois également de nombreux courriers pour te vendre à prix exorbitant son dépôt dans différents pays…

Peux-tu nous expliquer en quelques mots les principales arnaques et comment s’en protéger ?

Les patent trolls

— Laetitia : Le premier exemple que tu as donné s’appelle les patent trolls. C’est un phénomène très américain, qui s’est tout de même bien atténué. J’en entends beaucoup moins parler.

Ce sont des sociétés spécialisées dans le rachat de brevets qui attaquaient en contrefaçon et se rémunéraient ensuite sur les dommages et intérêts issus des procès en contrefaçon. Il faut voir les montants que les tribunaux américains concèdent aux gagnants d’une procédure en contrefaçon aux États-Unis ! Ce n’est pas tout à fait le cas ici, et c’est pour ça que le phénomène n’a pas réellement pris en France. Je ne pense pas que tes auditeurs soient concernés 🙂

En revanche, il existe deux autres arnaques plus courantes, aujourd’hui.

La publication payante

Quand tu déposes une demande de marque, la procédure veut qu’elle soit publiée automatiquement au Bulletin officiel de la propriété industrielle. Or, des sociétés, généralement basées en Europe de l’Est, envoient des courriers d’apparence officielle, avec une facture d’un montant de 930 €, par exemple, pour publication.

Ce n’est pas illégal : ce qu’ils proposent, c’est une publication sur un annuaire privé. Sauf que ta demande de marque a déjà été publiée officiellement par l’INPI, donc il n’y a pas besoin de cette publication sur un annuaire.

Mais voilà, le courrier donne l’impression que c’est obligatoire, que c’est officiel, que c’est proposé par la World Trademark Organization… Il faut lire, en tout petit, que c’est une SAS ou une EURL basée en Lettonie qui propose ce service, et pour des montants délirants !

L’INPI essaie d’empêcher ces pratiques, mon association professionnelle, la Compagnie nationale des conseils en propriété industrielle, tente d’intervenir aussi… Mais les sociétés sont à l’étranger, donc c’est compliqué. On coupe une tête, dix repoussent.

— Laurent : En effet, j’ai déjà vu un encadré, sur les documents officiels de l’INPI, prévenant qu’on allait être démarché, qu’on n’était pas obligé de répondre…

— Laetitia : Exactement. Je préviens systématiquement mes clients : ils vont recevoir des courriers, au moindre doute, ils doivent me l’envoyer et je leur dirai si c’est un problème ou pas.

La fausse infraction au droit d’auteur

— Laetitia : Un autre problème s’est développé ces cinq dernières années : les sociétés qui ont développé des logiciels de screening d’Internet pour récupérer des images et disent :

Il y a du droit d’auteur sur cette image, vous n’avez pas payé de licence, vous nous devez 5 000 € !

Là encore, ces sociétés sont basées en Europe de l’Est et travaillent avec des cabinets d’avocats en France. Elles visent des particuliers, des associations sportives, musicales ou autres, ayant utilisé une photo tirée de Wikipédia, par exemple, sur leur site Internet. Des entreprises le sont également.

La cible reçoit une première lettre de mise en demeure de la part d’une société, PicRights ou une autre. Puis arrive une lettre de mise en demeure de la part d’un avocat, ça commence à faire un peu flipper.

Pourtant, certaines photos désignées par le courrier ne sont absolument pas qualifiables d’œuvres de l’esprit protégeables par droit d’auteur.

C’est une vieille histoire, mais j’ai un client qui avait mis, sur son site Internet, la photo d’un de ses produits, sur fond blanc, sans aucune mise en scène, rien. Il a reçu une lettre de mise en demeure !

Parfois, c’est justifié, mais dans 90 % des cas, ça ne l’est pas !

Une association avait utilisé une photo issue de Wikipédia, dont l’auteur avait indiqué « Creative Commons Copyleft ». Cela signifie qu’elle pouvait être utilisée librement, hors usage commercial. Ils respectaient donc complètement les intentions de l’auteur. Mais, ils ont reçu une lettre de mise en demeure de la part de l’AFP, alors que l’agence n’avait aucun droit. Et l’auteur ne réclamait aucun droit non plus !

— Laurent : C’est dingue, parfois, l’auteur lui-même n’a rien demandé !

— Laetitia : Exactement.

Ne payez pas dans ces cas-là.

Le mieux est de retirer la photo litigieuse, même s’ils affirment que cela ne résoudra le problème.

À ce jour, il y a eu aucune saisine de tribunal : ces lettres de mise en demeure sont restées lettre morte.

— Laurent : Voilà qui montre que le cas n’est pas très solide !

— Laetitia : Oui, ou alors qu’au vu des enjeux financiers, ça ne vaut vraiment pas le coup de payer un avocat et de se lancer dans une procédure. Je pense aussi qu’une grande partie des personnes qui reçoivent la lettre de mise en demeure prennent peur et payent, si jamais.

Si vous recevez un courrier de ce type, vous pouvez l’ignorer. Mais si vous flippez un peu, vous pouvez contacter quelqu’un comme moi.

Les trois questions de la fin

— Laurent : Je te propose de conclure avec trois questions.

Son conseil pour protéger le fruit de sa créativité

Dans le cadre de tes interventions auprès d’étudiants, quel est le principal conseil que tu leur donnes ?

— Laetitia : Je les encourage à connaître leurs droits à se respecter eux-mêmes.

Je pense à ces étudiants en design qui se voient proposer de nombreux concours organisés par des entreprises autour de la création de logo, de design produit… La rémunération, c’est une tablette numérique ou un vélo. Pourtant, l’entreprise ou l’agence qui organise ce type de concours va se rémunérer grassement derrière.

Je leur dis :

Respectez-vous, vos créations et votre travail. Dans dix ans, quand vous serez sur le marché professionnel, vous allez vous retrouver en concurrence avec les futurs étudiants. Vous allez alors comprendre que casser les prix parce qu’on a envie de se faire connaître et d’avoir un début de clientèle, ce n’est pas une bonne idée.

Participer à ce type de concours non plus. Il faut connaître ses droits pour pouvoir discuter d’égal à égal :

C’est moi, l’auteur. Là, vous me déniez mon droit au nom. Je vous impose, parce que le droit me le permet, que mon nom soit systématiquement cité quand vous exposez l’œuvre que j’ai créée dans le cadre de votre concours. C’est mon droit moral d’auteur.

— Laurent : En propriété industrielle, comme dans beaucoup de domaines, on peut se faire avoir par méconnaissance des droits.

— Laetitia : Complètement ! Pour ceux qui ont une activité à l’international, artistes ou industriels, cette méconnaissance du droit est préjudiciable, notamment vis-à-vis des anglo-saxons ou des Allemands qui, eux, maîtrisent très bien le droit depuis leur plus jeune âge.

— Laurent : Je ne sais pas pour l’Allemagne et les autres pays anglo-saxons, mais les États-Unis sont très judiciarisés : on fait des procès pour rien, on protège tout…

— Laetitia : Ce n’est pas le même style de droit, surtout. Ils sont, en effet, aussi très procéduriers.

Indépendamment de cela, et pour rester en Europe, les Anglais ou les Allemands sont bien plus légalistes : il y a le droit, on le respecte et on n’hésite pas à l’appliquer.

En France, j’ai été confrontée à des cas d’entreprises qui se tapaient dans la main : « Ouais ! On va travailler ensemble et créer un nouveau produit ! »

Deux ans plus tard, au moment de la commercialisation, aucun contrat n’avait été rédigé… Le produit n’est pas lancé, car ils ne sont plus d’accord sur qui va toucher combien. En Allemagne, ils n’ont pas ce problème. Le contrat est établi dès le départ, même si on est copains.

— Laurent : Le cadre n’est pas restrictif, au contraire, on peut s’y épanouir davantage, à condition qu’il ne soit pas oppressant.

— Laetitia : Le droit, source de créativité ! 🙂

— Laurent : Ça ferait un bon titre d’épisode 🙂

Son mot préféré de la langue française

— Laurent : La question suivante, une de mes préférées, c’est : quel est ton mot préféré de la langue française ?

— Laetitia : J’en ai plein, et je ne sais pas lequel choisir ! Mon processus décisionnel est un peu lent 🙂

— Laurent : Tu peux m’en donner deux 🙂

— Laetitia : Ça sera « coquelicot » : j’aime beaucoup la sonorité de ce mot.

C’est joli, ça fait un peu cocon. En même temps, c’est une fleur sauvage qui pousse quand et où elle en a envie, elle ne supporte pas qu’on l’arrache, on peut uniquement l’admirer dans son environnement naturel. Et puis, elle a une couleur incroyable !

Accessoirement, j’ai découvert il y a quelques années que c’était le mot préféré d’Anne Sylvestre

— Laurent : La chanteuse ?

— Laetitia : C’est ça. Tu es si jeune 🙂

— Laurent : Effectivement, c’est assez vieux, comme référence…

— Laetitia : Ça ne fait pas si longtemps qu’elle est morte ! Elle est quasiment morte sur scène !

— Laurent : Mais ses chansons datent des années 60 ou 70, c’est ça ?

 — Laetitia : Elle chantait toujours, il n’y a pas longtemps et sortait encore des albums 🙂 Mais c’est un artiste de niche, je le reconnais !

Son coup de cœur créatif

— Laurent : Quel créateur ou créatrice apprécies-tu et souhaites-tu recommander ?

— Laetitia : Jusqu’à ce matin, j’avais plusieurs idées, là aussi !

Je voudrais mettre en avant ce client dont je te parlais, que j’ai connu alors qu’il était kiné, tout seul. Aujourd’hui, il a une équipe de 50 personnes. C’est une personne créative qui s’est battue pour faire naître son produit.

Il s’appelle Emanuele Monderna, il a créé la marque et l’entreprise Dermoioniq. Ce sont des produits cosmétiques techniques, destinés à l’origine aux professionnels des soins de la peau. Assez rapidement, pour cause de confinement, il a ouvert au grand public.

Je ne sais pas s’il entendra cette émission un jour, mais je suis très admirative de son parcours !

J’avais aussi pensé, sans être sûre qu’il y ait un créateur derrière, au fait d’avoir réussi, avec 26 lettres, à écrire tout et n’importe quoi ! Ou avec sept notes de musique, de pouvoir composer les plus grandes mélodies du monde. C’est incroyable !

— Laurent : Dédicace à l’inventeur ou l’inventeuse de l’alphabet 🙂

— Laetitia : Mais quand même, en priorité, à l’entreprise Dermoioniq !

Conclusion

— Laurent : Pour terminer, où peut-on te retrouver ?

— Laetitia : Sur mon magnifique site Internet, refait récemment 🙂

J’y ai publié des définitions que j’espère pratiques et claires. Je mise beaucoup sur la pédagogie, en termes de droit, c’est important. Le droit ne doit pas être réservé aux avocats ou aux étudiants en fac de droit.

Je travaille sur la France entière, j’ai des clients partout. Merci au confinement qui a largement démocratisé l’outil visio !

— Laurent : Merci beaucoup, Laetitia !

— Laetitia : Avec plaisir 🙂

— Laurent : J’espère que nous avons réussi à aborder le sujet de manière légère ! Nous n’avons pas pu tout dire, mais j’espère que nous avons balayé l’essentiel et avons sensibilisé nos auditeurs et auditrices !

Merci beaucoup d’avoir écouté cet épisode jusqu’au bout. C’est un épisode très riche, aussi, je t’invite à prendre quelques secondes pour noter ce que tu en retiens.

Pour ma part, c’est la nécessité de bien connaître ses droits pour pouvoir les faire respecter, ainsi que le fait qu’il existe des personnes comme Laetitia qui peuvent nous guider, nous éviter de faire des erreurs. Je suis curieux de savoir ce que toi, tu retiens de cet épisode.

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