Ceci est la transcription textuelle de l’épisode n° 13 du podcast « Réserve Créative » (anciennement Le Barboteur) disponible sur votre plateforme d’écoute préférée.

Épisode enregistré en deux fois, le 06/03/2023 et le 26/04/2023 et diffusé le 29/05/2023.

Introduction

— Laurent : Courage, inconscience et liberté : ces trois mots résument parfaitement l’épisode qui va suivre.

Tout d’abord, « courage » de se lancer et de laisser sa créativité s’exprimer. « Inconscience », ensuite, car si on réfléchit trop, on ne fait rien. Enfin, « liberté », car la pratique créative permet à l’esprit de se libérer de toute contrainte.

Tu es sur le Barboteur, le podcast qui explore et révèle la diversité créative.

Aujourd’hui, je reçois Yasmine Siad. Yasmine est une invitée particulière. Déjà, c’est ma première invitée qui n’habite pas en France, mais en Algérie. Ensuite, contrairement à l’immense majorité des invités que j’ai reçus jusqu’à présent, elle n’exerce pas sa créativité dans un contexte professionnel.

Comme tu le découvriras, cela change énormément de choses. Ça lui donne une liberté totale : artistique, bien sûr, parce qu’elle ne doit pas répondre à la commande d’un client ; au niveau de son organisation, également : elle peint quand elle en a envie, pas parce qu’elle s’y sent obligée. Surtout, elle est libre de choisir de vendre ou non ses toiles, et à qui.

Le revers de la médaille, en revanche, c’est qu’il n’est pas toujours simple de concilier vie créative, vie familiale et vie professionnelle. Cela demande une discipline et une organisation assez solide.

Dans cet épisode, Yasmine se livre son parcours de peintre/dentiste, son rapport aux critiques et au regard de l’autre sur ses toiles, et surtout sur sa vision très personnelle de la créativité.

Sur ce, je te souhaite une excellente écoute !

Yasmine Siad devant sa toile « Dessine-moi un silence ».
Source : Instagram.

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Présentation de Yasmine

— Laurent : Bonjour Yasmine, bienvenue dans le podcast ! Pour commencer, comment vas-tu aujourd’hui ?

— Yasmine : Écoute, ça va très bien 🙂

— Laurent : Tu es en forme ?

— Yasmine : En forme, prête !

— Laurent : Tu es une invitée un peu particulière pour moi, parce que contrairement à la plupart des personnes que j’ai pu accueillir jusqu’à présent, ta créativité s’exprime dans un cadre personnel et non professionnel.

Tu es dentiste de métier, mais également peintre, et c’est surtout cette facette qui nous intéresse aujourd’hui.

Je te propose de commencer par te présenter en répondant à cette question, qui peut être plus complexe qu’il n’y paraît : que réponds-tu quand on te demande ce que tu fais dans la vie ?

— Yasmine : Selon le contexte, je peux répondre beaucoup de choses différentes, mais essentiellement « dentiste ». Cela reste quand même mon activité principale, 5 jours sur 7, de 9 h à 16 h 30. Je pourrais dire aussi « artiste peintre autodidacte », « auteur du livre Les aventures de Petite Dent ».

Parfois, je ne vais rien dire du tout, à part : « Bonjour, je m’appelle Yasmine Siad », et m’arrêter à ça. Et, leplus souvent, c’est le cas 🙂

Crois-moi, le plus souvent, je ne parle ni du dentaire, ni de l’art, ni de rien du tout.

— Laurent : Ça évite d’avoir à trop en dire après, c’est ça ? 🙂

— Yasmine : Absolument 🙂

Son parcours de peintre

— Laurent : On va rentrer dans le vif du sujet en commençant par évoquer ton parcours, en tant que peintre.

Pourrais-tu nous expliquer, en quelques mots, comment tu as découvert la peinture et ce qui t’a amenée à cet art ?

— Yasmine : Rien ne m’y a amenée.

Petite, ce n’était pas ma passion. Je n’étais pas spécialement douée en peinture ni en dessin. Mes dessins ont toujours été qualifiés de « moches » 🙂

Je n’avais pas de très bonnes notes en dessin, et quand je faisais du coloriage, je débordais toujours…

J’ai toujours été très portée sur la lecture, la littérature, les livres, l’écriture, mais absolument rien dans mon cercle familial ou amical ne me prédestinait à l’art ni à la peinture.

— Laurent : Alors, finalement, pourquoi la peinture ? 🙂

— Yasmine : Je n’ai qu’une seule réponse, que je donne dans toutes mes interventions, dans des podcasts ou autre, parce que je n’en ai pas d’autres…

C’est un peu spécial, mais, à un moment donné, je me suis vue peindre. C’est une image que j’ai eue et qui m’est restée dans la tête, avant de devenir littéralement une obsession.

Toutes les nuits, dans mon sommeil, en rêve, je me voyais en train de peindre. Au bout de deux ou trois mois, je me suis dit qu’il fallait peut-être que je le fasse.

J’ai acheté du matériel sans savoir ce qu’était la peinture à l’huile ou l’acrylique, sans savoir quoi en faire, sans aucune véritable formation ni beaucoup de connaissances. J’ai acheté ce qui me faisait plaisir et j’ai commencé à peindre à l’âge de 29 ans.

— Laurent : Comme une crise de la trentaine anticipée ? 🙂

— Yasmine : J’ignore si c’était la crise de la trentaine ou le fait que je sois enceinte, parce que je l’étais à l’époque… Pendant la grossesse, cette image ne me quittait pas, ça relevait réellement de l’obsession.

— Laurent : Une fois que tu as ramené tout ce matériel à la maison, qu’en as-tu fait, concrètement ? Est-ce que tu t’es mise à peindre immédiatement ? Est-ce que tu l’as laissé un temps dans un coin pour revenir dessus après ?

— Yasmine : Mon parcours dans la peinture ressemble beaucoup à une espèce de combat, de corrida, de combat de boxe, sur un ring. C’est une relation assez conflictuelle.

Durant quelques jours, je me suis demandée ce que j’allais faire. J’avais acheté un petit carnet pour griffonner, faire des brouillons. Parce que c’est intimidant, une toile blanche devant soi, et je voulais trouver la superbe idée, le chef-d’œuvre 🙂

Un jour, je me suis installée devant la toile et je me suis dit :

Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise idée, on va se laisser aller, faire quelque chose, enlever l’idée du résultat de sa tête et explorer.

C’est de cette façon que ça a commencé.

— Laurent : Si je ne me trompe pas, c’était en 2018 ?

— Yasmine : Absolument. La première toile que j’ai faite, je l’avais appelée « La Porte ». Je n’avais aucune conscience, à l’époque, de ce qui allait arriver après, peut-être que ça a réellement été une porte…

— Laurent : Avec le recul, as-tu réussi à identifier ce qui t’a poussé vers cet art ?

— Yasmine : Ça relève plutôt de l’émotionnel. Je ne dis pas que dans l’écriture il n’y a pas d’émotion, au contraire, mais encore faut-il choisir les mots. Il y a davantage de règles à suivre…

C’est un peu de l’insouciance. J’imagine que, pour une personne qui aurait fait les Beaux-arts, il est plus complexe de faire une toile, puisqu’il va avoir des paramètres en tête. Je n’en avais aucun. Ce qui a fait la suite du parcours, c’est que c’était honnête, vrai, et non guidé par le résultat, par la prétention d’être une artiste, ou l’ambition d’en devenir une. Ce n’était vraiment pas quelque chose que je voulais, je n’y avais même jamais pensé.

La créativité selon Yasmine

Tous artistes !

— Laurent : Aujourd’hui, tu te considères comme une artiste, ou toujours pas ?

— Yasmine : Oui, mais pas parce que j’ai exposé.

Je me considère artiste comme je considère que tout le monde est artiste. Certains explorent, vont jusqu’au bout, d’autres ne l’ont pas encore fait.

Je ne crois pas au talent, à un superpouvoir, ou à une catégorie de personnes qui seraient « artistes » et d’autres non.

Tout le monde a cette possibilité, encore faut-il en avoir conscience et l’accepter…

— Laurent : Et avoir le courage d’aller explorer sa créativité. Ce n’est pas forcément simple, par exemple, quand tu as grandi dans un milieu qui a pu réfréner ce côté artistique…

— Yasmine : Absolument. La créativité, la création, l’art, c’est beaucoup plus du courage qu’autre chose. C’est une décision, c’est un choix qu’on fait.

L’éducation tend à nous faire croire qu’il n’y aurait qu’une seule façon de penser.

Tout petit, on est très créatif, on a une infinité d’idées, une imagination extrêmement fertile. Un enfant de moins de cinq ans va inventer tout et n’importe quoi, avec une multitude de possibilités.

Puis, en grandissant, en allant à l’école, on reçoit de l’éducation et de la connaissance, et on va sur un modèle unique, une pensée convergente. 5+5=10, et rien d’autre. Il faut s’exercer, et si on répond différemment, on risque d’être exclu. Tout ça va nous formater tout au long de notre vie, à ne pas vouloir faire de vagues, à craindre le regard des autres si on fait quelque chose de différent.

Il faudrait l’enseigner à nos enfants et se le demander à nous-mêmes : et si ce n’était pas la seule façon de penser ? Si la pensée pouvait être divergente, au lieu de convergente ? Est-ce qu’il n’y aurait pas d’autres réponses ? Est-ce que ce ne serait pas autre chose, « être heureux » ou « la vie » ?…

À partir du moment où on commence à se poser des questions, on explore sa créativité. Si on a peur des réponses, on va rester sur place. Si on les explore, on est déjà artiste.

Sa définition de la créativité

— Laurent : Tu as commencé à y répondre en parlant de courage, de choix : quelle est ta définition de la créativité ?

— Yasmine : Trois mots définissent la créativité pour moi : c’est un acte de courage, un acte inconscient et un acte d’honnêteté.

— Laurent : « Inconscient » dans le sens « un peu fou », ou dans le sens de « pas conscient », qui se situe au niveau des émotions ?

— Yasmine : Si je commence à me demander : « Et si je passais le pas ? Et si un critique d’art voit mon travail ? Que va-t-il en dire ? » …

Choisir de faire abstraction de ce que pourraient penser les gens, c’est « inconscient ». Pour l’être humain, avant, la survie avant était simple : manger, être à l’abri, se nourrir.

Aujourd’hui, la survie est sociétale, sociale, donc risquer de perdre son statut, sa posture, sa position, c’est très effrayant.

L’inconscience, c’est prendre des risques pour explorer autre chose, faire quelque chose hors du commun.

Créer, une remise en question totale

— Laurent : Quand nous avons échangé pour préparer cette conversation, tu as prononcé une phrase qui m’a marqué, et résume l’angle que j’avais envie de donner à cet épisode.

Selon toi,

une vie passée sans explorer sa créativité, c’est une vie perdue.

Pourrais-tu développer ce que tu entends par là ?

— Yasmine : Explorer la créativité, c’est se connaître, avec honnêteté, savoir qui l’on est.

À partir du moment où on commence à se poser ces questions, où on est capable de revoir toutes nos idées, tout ce qu’on a bâti (pendant, dans mon cas, 30 années), tout ce que l’on a reçu, tout ce que l’on croit vrai, c’est une remise en question totale.

De tels choix sont parfois difficiles, mais si on ne le fait pas, la vie sera triste et monotone.

Apprendre à se connaître est un long chemin à parcourir. Si on le fait honnêtement, c’est même parfois un peu douloureux. Se connaître, c’est le plus lent et le plus beau des voyages que l’on puisse faire. La créativité, c’est ce qui ressort de ce voyage vers la connaissance de soi, condition à la naissance d’une créativité sincère.

La créativité… dans tous les domaines !

— Laurent : Une des thèses que je défends dans ce podcast, c’est que la créativité est multiple, et qu’elle peut s’exprimer de plein de façons différentes. Par exemple, dans la façon dont un ingénieur va résoudre un problème, dont un mécanicien va être créatif pour diagnostiquer l’origine d’une panne…

C’est une vision que tu partages, ou est-ce que, selon toi, la créativité est forcément liée à une pratique artistique ?

— Yasmine : La créativité, c’est passer d’une pensée convergente à une pensée divergente.

C’est s’offrir le luxe, parce que ça en reste un, de pouvoir explorer autre chose, de trouver d’autres solutions, de voir une situation unique sous différents angles, et toutes les possibilités qui s’offrent à nous.

Elle peut s’exercer dans la cuisine, dans une réparation, dans un soin dentaire ou dans la peinture. C’est simplement pouvoir ouvrir son esprit à autre chose et avoir le courage de le faire.

— Laurent : Dans ton métier de dentiste, tu estimes parfois te montrer créative ou, au contraire, tu appliques ce que tu as appris pendant tes études ?

— Yasmine : À part dans le protocole du soin, je ne suis pas de règles, parce que aucun patient ne ressemble à un autre.

J’ai déjà eu à refuser à des patients qui voulaient un « Hollywood Smile », des facettes ou autre, parce que je n’y crois pas, parce que je ne pense pas que ce soit la meilleure option pour eux, ni sur le plan de leur santé, ni sur le plan esthétique. Là aussi, ça demande du courage et de la créativité.

Elle peut s’exprimer à tous les niveaux, à tout moment et dans toutes les situations de la journée, qu’elles soient personnelles ou professionnelles. Elle est toujours là.

Cultiver un « égoïsme nécessaire »

— Laurent : Enfant, étais-tu créative ? Ou ta créativité a-t-elle été freinée par ton entourage ?

— Yasmine : L’entourage est un paramètre vraiment très important, il faut faire attention à son cercle, aux personnes qu’on fréquente.

Qu’on le veuille ou non, les gens finissent par déteindre sur nous. Pour peu qu’ils soient négatifs, par peur ou par amour, ils peuvent vous réfréner et vous bloquer.

Dans les relations aux autres, c’est aussi important de savoir s’imposer, faire preuve d’une grande confiance en soi.

— Laurent : Ce n’est pas forcément simple d’aller contre son entourage.

Est-ce quelque chose que tu as dû faire ou ton entourage t’a-t-il toujours encouragée dans l’exploration de ta créativité ?

— Yasmine : L’égoïsme, dont la connotation est souvent très négative, est quelque chose qu’il faudrait savoir s’approprier et savoir utiliser à sa juste place.

Parfois, c’est bien : il faut être égoïste de son temps, de ce qu’on donne aux autres. Nous devrions d’abord nous le donner à nous-mêmes. On a souvent tendance à vouloir donner, faire plaisir aux autres, les écouter, ne pas les contrarier ou les contredire. Ça peut être un véritable frein.

Je n’ai pas me plaindre, mon entourage m’a soutenue, s’est montré présent, positif avec moi.

Mais, cela peut arriver, dans un parcours. Ça peut faire peur, que celui ou celle qu’on aime change, évolue. Certains peuvent mal réagir, ça ne fait pas d’elles de mauvaises personnes.

Il faut tout de même savoir prendre énormément de distance, pour pouvoir se retrouver et donner ce qu’on a à donner, avec le plus d’honnêteté, de transparence possible, sans être jugé, ou sans accorder trop d’importance à ce que disent les autres,

Caser une pratique créative personnelle dans son quotidien

— Laurent : Quand c’est un « passe-temps », c’est peut-être plus compliqué de faire accepter à son entourage que, parfois, on a besoin d’être tranquille pendant quelques heures et de ne pas être dérangé pour pouvoir peindre ?

Quand c’est ton métier, les gens sont peut-être davantage capables de comprendre que lorsque tu peins, tu es « occupée », que tu n’es pas disponible.

C’est ce que tu ressens ?

— Yasmine : Pour peindre tranquille, c’est toute une organisation, quand on fait autre chose, qu’on a un job à plein temps, des responsabilités, des enfants… C’est assez complexe, mais à partir du moment où on le veut, on peut toujours.

Parfois, ça implique de se réveiller un peu plus tôt, ou d’éteindre son téléphone… pour prendre le temps qu’il faut.

Un chef d’entreprise a déclaré à toute son équipe que si les personnes qui travaillaient avec lui ne prenaient pas chaque jour 20 minutes de rendez-vous avec elles-mêmes, ils allaient gâcher leur vie, et n’allaient jamais pouvoir être performants ni évoluer dans leur travail et dans leur vie.

Ce temps est nécessaire. Ça demande de la discipline, des efforts, du courage. Par exemple, ne pas être dans l’interactivité, ne pas consulter les réseaux sociaux le matin au réveil, ne parler avec personne avant d’avoir pris ce temps pour écrire, pour penser, pour méditer…

Chacun fait comme il l’entend, mais le plus important, c’est de toujours garder du temps en tête-à-tête avec soi-même, pour pouvoir évoluer et faire des choses.

Dentiste ou peintre : choisir de ne pas choisir

— Laurent : Si tu étais libre financièrement, que tu n’avais plus besoin d’être dentiste pour gagner de l’argent, quelle place occuperait la peinture dans ta vie ? Plus ? Moins ? Ou ça ne changerait rien ?

— Yasmine : Cela serait exactement la même chose. Je n’ai jamais fait de la peinture pour devenir artiste ou pour exposer, vendre… seulement par besoin.

J’aime mon travail, je le fais avec passion et beaucoup d’amour. Il me permet de laisser sa véritable place à l’art, celle d’une expression sincère, sans attente de retour.

— Laurent : Sans ton métier de dentiste, penses-tu que tu pourrais être plus créative, ou au contraire, tu te sentiras « obligée » de peindre ?

— Yasmine : Je n’ai jamais pensé à arrêter le dentaire pour faire autre chose. Peu importe ce que je fais dans la vie, mes choix, mes décisions…

Par exemple, je peux diminuer mes horaires, bénéficier d’une certaine souplesse, mais il faudrait que je garde ce contact avec les patients, qui m’importe beaucoup, que j’aime particulièrement, notamment avec les enfants.

Je ne pourrais pas m’en défaire. Il m’est déjà arrivé de vouloir peindre et de prendre quelques semaines rien que pour ça. Arrêter mon métier me semble impossible à l’heure actuelle.

— Laurent : Actuellement, comment entretiens-tu et comment développes-tu ta créativité ?

— Yasmine : Selon moi, la créativité n’a pas de début ni de fin, l’inspiration ne « vient » pas ni ne me quitte. C’est un processus qui, une fois enclenché, ne se termine jamais.

On est toujours créatif. Même en passant six mois ou un an sans peindre, sans écrire, je n’estime pas ne pas être créative. Au contraire, on doit pouvoir accepter des périodes de gestation, des temps pour s’exprimer, des temps pour absorber.

Je ne ressens pas de pression dans la créativité, elle est là, j’en suis certaine. Ça me dépasse un peu, ce qui impose un lâcher-prise : je laisse les choses aller selon mes besoins, mes dispositions, et selon la vie et ses obligations, aussi.

Ce qui nourrit sa créativité

— Yasmine : Ce qui pourrait stimuler ma créativité, ce sont les moments passés seule. J’ai besoin de beaucoup de moments de solitude, au calme, c’est là que ça se révèle encore plus fort.

Mais, tout peut stimuler la créativité : une discussion, une exposition, dans les embouteillages, voir quelque chose peut stimuler la créativité ou l’inspiration. La seule chose à faire, c’est rester ouvert pour garder la créativité comme ça, en continu.

Et, vraiment, j’insiste sur ça, des moments de « méditation », de « prière », de « recueillement », chaque personne les appelle comme elle veut… Il faut pouvoir se donner du temps à soi-même. C’est très important pour moi.

La juste place des émotions « négatives »

— Laurent : Et, à l’inverse, y a-t-il quelque chose qui freine ta créativité ?

— Yasmine : Les aléas de la vie, mais pas tant que ça.

Freud avait raison : il n’y a pas de création sans douleur. Elle est un paramètre important de la créativité, à différents degrés, selon les épreuves que l’on peut traverser. Mais elle est un excellent moteur pour produire, s’exprimer, faire plein de choses…

Le bon et le mauvais peuvent stimuler la créativité, à condition de l’accepter et de sauter ! Ça ressemble beaucoup à un saut, mais sans parachute 🙂

— Laurent : Parmi les personnes que j’ai reçues, certaines ont vraiment besoin d’être dans de bonnes dispositions, dans un état d’esprit positif, elles se sentent freinées par la négativité

Toi, même quand tu es triste, par exemple, ou en colère, tu arrives quand même à en sortir quelque chose de créatif ?

— Yasmine : Mes toiles sont toutes très différentes, elles représentent chacune une phase de ma vie.

Certaines sont très joyeuses, très colorées. Par exemple, « Procession », que j’ai peinte le jour de mon anniversaire, au réveil, est une toile que j’aime beaucoup. Elle est très lumineuse, extraordinairement joyeuse.

D’autres sont beaucoup plus sombres, comme « Le fond », « Corrida » …

Somebody to love, par Yasmine Siad
Source : Instagram
Corrida, par Yasmine Siad
Source : Instagram

Je ne fais pas le tri dans les émotions, toutes sont importantes pour moi, il faut pouvoir accepter la joie et la douleur avec la même bienveillance puis, à partir de là, en faire quelque chose d’extraordinaire.

Oser montrer son travail

— Laurent : Tu signes tes toiles avec un pseudo, Anelli. Pourquoi ce choix ? Cela te permet-il d’être plus créative ?

— Yasmine : Il n’y a pas de rencontre fortuite. Je ne crois pas forcément au hasard…

J’ai peint avec beaucoup d’assiduité, dans mon garage, tranquillement, sans en parler à personne ni montrer mon travail. Au fil des mois, j’ai commencé à cumuler beaucoup de toiles.

Un jour, j’ai fait la rencontre « par hasard », même si je n’y crois pas, d’un des plus grands critiques d’art en Algérie, Mohamed Massen. J’ignorais qui il était. Ça m’a permis d’être libre.

C’est une personne  « très curieuse de l’art » qui m’a été présentée. Ma maman lui a raconté que je commençais à faire un peu de peinture, tout en étant dentiste. Il a tout de suite voulu voir ce que je faisais. Je lui ai montré mes toiles uniquement parce que j’ignorais qui il était. Si j’avais su qu’il était critique d’art, je ne l’aurais jamais fait !

Je les ai montrées à un homme avec qui la discussion était très intéressante, à quelqu’un qui semblait extrêmement bienveillant et simplement curieux de voir ce que je faisais. Je n’avais pas réfléchi. La notion d’inconscience revient toujours, parce que si on réfléchit, on ne fait rien du tout.

Il m’a demandé de rassembler tout ce que j’avais fait, toutes mes toiles, pour les lui ramener, qu’il puisse voir ce que je faisais. Il fallait que je les signe, mais j’ai refusé de signer Yasmine Siad.

Ce n’est pas la Yasmine que tout le monde connaît qui les a réalisées. C’était mon âme, qui est beaucoup plus grande que « Yasmine Siad ».

Elle n’a pas de limite, pas de frontière, elle est libre.

J’ai cherché comment dire esprit, âme, en amazigh : anelli. Ça me semblait tellement joli, plus court, et plus facile à retenir. J’ai signé toutes mes toiles Anelli, je les ai remises au critique d’art.

Yasmine signant une de ses œuvres avec le pseudo Anelli.
Source : Instagram

Il a su poser des mots pour décrire ce que je faisais, et c’est ce qui m’a permis d’exister.

Quand on expose ou quand on peint, et qu’un tel critique d’art écrit sur vous des mots tellement élogieux et extraordinaires, tout le monde veut voir ce que vous faites. Je lui dois énormément, sans avoir rien fait pour.

Le regard des autres

— Laurent : Tu parlais du fait de ne pas réfléchir, de ne pas forcément prêter attention à l’environnement.

Tu pratiques un art très subjectif : quand on regarde une toile, soit on aime, on adore, soit, au contraire, on déteste. Il arrive même qu’on dénigre en disant qu’ « un enfant aurait pu le faire » 😉

Est-ce quelque chose auquel tu penses quand tu peins ?

— Yasmine : Lorsque je peins, je n’y pense absolument pas. C’est vraiment impulsif, quelque chose que je ne contrôle pas. Mais, quand on regarde le résultat final, il y a un instant où on se demande ce que les autres pourraient en penser, si c’est assez bien, si cette œuvre peut être exposée…

En vérité, j’aime voir les réactions des gens quand ils ne savent pas que je les regarde, quand ils voient mes toiles sans savoir que c’est moi qui les ai peintes.

C’est la raison pour laquelle que j’aime exposer dans des lieux atypiques comme la clinique, une école…

C’est quelque chose qui m’intéresse beaucoup. Je n’attends pas spécialement qu’on dise que c’est beau. Ce n’est pas fait pour être beau, je ne fais pas du décoratif, du figuratifou une reproduction. J’attends que ça soit sincère.

Je souhaite surtout que la personne ressente quelque chose en voyant ma toile, que ce soit une belle émotion ou une émotion très négative, voire du dégoût, peu importe. C’est la seule chose que j’aime.

Au-delà de ça, honnêtement, aucun avis ne va me toucher en particulier.

— Laurent : Tous les avis ne se valent pas non plus. Par exemple, mon avis de personne qui n’y connaît absolument rien en art n’a pas le même poids que celui d’un critique, d’un autre artiste…

— Yasmine : À mes yeux, ça a la même valeur, si c’est une expression sincère.

Quand la personne nous parle ou regarde la toile, on peut réellement voir si elle ressent quelque chose. Mais, en effet, un critique d’art va ouvrir des portes.

Ce que Mohamed Massen a écrit de moi, je l’ai caché pendant un an, personne ne savait même qu’il avait écrit un texte sur mon travail en tant qu’ « artiste » (c’est lui qui a employé le mot).

Quatre ans plus tard, je ne l’ai toujours pas publié. C’est un texte tellement élogieux. Il m’a demandé si je l’avais partagé, j’ai répondu que non, je ne me sens pas encore l’avoir mérité. C’est beaucoup trop pour ce que je pense être.

C’est tellement précieux aussi. J’ai beaucoup de mal à le partager, je le garde pour moi, c’est suffisant.

Première exposition

— Laurent : Tu as quand même été exposée dans une galerie. Les as-tu contactés ? Sont-ils venus te chercher ? Est-ce que c’est via Mohamed Massen ? Comment ça s’est passé ?

— Yasmine : À l’idée d’exposer, ma première réponse a longtemps été « non ».

Puis Mohamed Massen m’a dit un jour que

Les œuvres n’existent que si quelqu’un les regarde.

À partir du moment où on expose, où on se confronte au regard des autres, que l’œuvre peut exister à part entière.

Après plusieurs mois sans aucune envie d’exposer, juste de peindre, je me suis levée un jour en me sentant prête. J’en ai parlé à mon mentor, Karim Sergoua, prof aux Beaux-arts. Il est venu, il a regardé tout mon travail puis l’a proposé à Dar Abdeltif.

Dar Abdeltif n’est pas vraiment une galerie, mais un lieu historique, aujourd’hui dédié à l’art et aux artistes, accueillant des résidences d’artistes venant de partout dans le monde. J’y ai fait une visite, puis j’ai envoyé un dossier avec mes toiles, tout mon travail. J’ai été acceptée. On m’a donné une date.

Vernissage de son exposition « Genèse ».
Source : Instagram

— Laurent : Combien d’œuvres y as-tu exposées ?

— Yasmine : J’en ai exposé un peu plus de 40.

J’avais arrêté un certain nombre, puis la semaine précédant l’expo, beaucoup de choses, d’émotions me sont venues. J’ai peint plusieurs toiles cette semaine-là pour atteindre plus de 40 œuvres.

Le lieu est assez grand, permettant d’exposer un certain nombre de toiles. C’était vraiment merveilleux, et je suis très reconnaissante de cette expérience.

— Laurent : Tu les as choisies, ou c’est le commissaire de l’exposition ?

— Yasmine : Il a regardé et m’a donné son avis. Je ne l’ai pas suivi, j’ai exposé ce que je voulais, moi 🙂

Sur une toile en particulier, nous avons eu un petit différend. Il la trouvait un peu choquante, pensait qu’il valait mieux ne pas l’exposer, ou l’exposer différemment. Moi, je tenais à cette toile, je ne me voyais pas exposer sans.

Je suis assez têtue. Quand j’ai une idée en tête, en général, personne ne peut me faire changer d’avis. J’ai donc exposé ce que je voulais, comme je le voulais, et j’ai eu toute la liberté de le faire.

— Laurent : C’était plutôt des recommandations qu’une interdiction ?

— Yasmine : C’est ça.

Si j’ai fait de l’art, c’est pour être libre. Si je n’avais pas été libre de faire l’exposition comme j’en avais envie, pourquoi la faire ?

— Laurent : Qu’avait-elle de particulier, cette toile ?

— Yasmine : Elle s’appelle : « L’amour est une gestation comme une autre ».

Pour moi, elle n’a rien de choquant, mais effectivement, c’est celle qui interpelle le plus les gens. C’est une présentation anatomique d’un tronc, assez farfelue, et de l’amour à l’intérieur du corps humain.

C’est assez bizarre, mais je t’enverrai une photo de la toile pour ceux qui voudraient la regarder. C’est une toile à laquelle je tiens particulièrement.

— Laurent : Ça m’intrigue ! Je la mettrai en ligne avec l’épisode 🙂

« L’amour est une gestation comme une autre », par Yasmine Siad.
Source : Instagram

Nommer ses toiles

— Laurent : Comment t’y prends-tu pour nommer tes toiles ?

— Yasmine : Pour certaines toiles, j’ai le titre en tête, ou des phrases qui me viennent, dont je sais qu’elles seront le titre d’une œuvre. Parfois non. Certaines toiles que je peins restent un moment avant que je trouve leur titre.

Les noms de mes toiles ne sont régis par aucune règle, sauf d’orthographe, de syntaxe et de grammaire 🙂

J’essaie de donner le titre le plus juste, le ressenti le plus juste. Ça peut être des phrases, ça peut être un seul mot.

J’ai une toile qui s’appelle : « Raconte-moi un silence », une autre qui s’appelle « Ascension »… À chaque fois, ce sont des thématiques assez différentes.

— Laurent : L’idée, c’est de décrire la toile, ou plutôt le sentiment que tu avais en la peignant ?

— Yasmine : Peut-être l’idée, la vraie, l’idée brute que j’avais en faisant cette toile. C’est ce que j’essaie de retranscrire avec un titre.

Vendre son travail

— Laurent : As-tu déjà vendu des toiles ?

— Yasmine : Je tiens beaucoup trop à mes toiles, la vente est difficile pour moi. Je dois rencontrer la personne, lui parler… C’est tout un process pour avoir une de mes toiles 🙂

— Laurent : En préparant notre conversation, j’avais vu que tu étais assez sélective dans le choix de tes acheteurs. Quels sont tes critères ? Qu’est-ce qui te donne envie de vendre à une personne en particulier ?

— Yasmine : Je n’aime pas les gens qui pourraient prendre une toile juste pour prendre une toile. Je suis attentive à la façon dont la personne regarde la toile, ce qu’elle en dit, si elle a ressenti réellement la toile, c’est tout.

La toile a une valeur émotionnelle assez importante pour moi, c’est une partie de moi-même que je donne à quelqu’un, comme si c’était un enfant, un bébé. Je devrais peut-être grandir un peu et franchir ce cap.

Ce qui est sympathique, dans ma situation, c’est que c’est un « à côté ». Je ne fais de l’art que pour le plaisir, que par amour de l’art. Aucune contrainte ne pourrait m’obliger à me séparer d’une toile, à la vendre ou à ne pas la vendre.

Je n’ai pas de règles dans ma vie d’artiste, je fonctionne uniquement au feeling. C’est merveilleux d’avoir de la liberté dans l’art. Si j’avais pris la décision de faire uniquement de l’art, ça m’aurait emprisonnée, enlevé une partie de liberté ou de plaisir.

— Laurent : C’est peut-être aussi justement parce que tu es si libre que c’est aussi émotionnel ? Si l’art était ton métier, peut-être qu’un détachement viendrait avec le temps, et qu’il deviendrait plus facile pour toi de vendre ton travail ?

— Yasmine : Je vends à certaines personnes, dans certaines circonstances. Il m’arrive aussi d’offrir des toiles. Dans les deux cas, je le fais toujours avec autant de plaisir, c’est toujours dans la même optique.

J’ai cette liberté de faire de l’art ce que j’ai envie qu’il soit : du partage, de la générosité, de l’amour. C’est une vision assez « mienne » de l’art, et je voudrais qu’elle reste comme ça.

Je crains de tomber dans un aspect plus commercial ou marketing, et de perdre la pureté et l’innocence qui, pour moi, définissent l’art.

— Laurent : Ce détachement de la valeur marchande de l’œuvre au profit d’une valeur artistique ou émotionnelle, c’est une belle vision…

— Yasmine : J’ai refusé plein de ventes, même face à des personnes qui insistaient. Je l’ai toujours dit : c’est dans la démarche de la personne qui vient acquérir une toile que se prend la décision.

Je suis très contente comme ça, ça me plaît, et je ne pense pas changer d’optique.

— Laurent : Comment fais-tu pour déterminer le prix d’une toile ?

— Yasmine : J’ai eu quelques recommandations d’artistes plus expérimentés que moi dans le domaine. Mon mentor m’avait prévenue :

Maintenant que tu exposes, tu vas aussi avoir à gérer la vente.

Il n’y a pas vraiment de règles pour définir le prix d’une toile. Il y a certains facteurs à considérer. Le prix de mes toiles est un peu élevé comparé au marché, C’est un choix que j’ai fait. C’est peut-être pour dissuader, ou parce qu’elles ont une trop grande valeur pour moi. Quand vous achetez l’œuvre d’un artiste, vous finissez par acquérir réellement une partie de lui, de son vécu, de son énergie, c’est beaucoup de choses, ce n’est pas juste une toile.

Par exemple, je refuse les commandes, je n’en fais aucune. Certaines personnes m’ont contactée pour commander des toiles, pour des lieux, pour chez eux, mais je n’accepte pas, je ne sais pas faire sur commande. Toutes ces idées sont très loin de ma démarche artistique. Je veux que ça reste spontané, et peindre quand j’en ai envie. Si je n’ai pas envie de peindre pendant deux ans, je peux me le permettre, et si j’ai envie de peindre tous les jours pendant six ans, c’est ce que je vais faire, sans aucune contrainte.

Le marché de l’art en Algérie

— Laurent : À quoi ressemble le marché de l’art et de la peinture en Algérie ? Y a-t-il beaucoup d’artistes ? Est-ce facile de se faire connaître ?

— Yasmine : C’est une question très pertinente, à laquelle je n’ai pas forcément les bonnes réponses.

Comme partout dans le monde, ce sont des réseaux, c’est un cercle. Les gens qui s’intéressent à l’art, les collectionneurs d’art sont connus.

Partout dans le monde, l’art est fait de beaucoup de paramètres très compliqués à comprendre. Par exemple, aux États-Unis, c’est une autre histoire, c’est coté en bourse, et ce sont les acquéreurs, les galeries, les critiques qui font et défont le marché et les prix. Le marché algérien serait peut-être un peu plus proche du marché français.

Le paramètre économique lié à l’art me dépasse vraiment, et je n’ai jamais voulu trop approfondir.

En général, ceux qui ont acquis mes toiles étaient médecins, architectes… Ce sont vraiment les corps de métier qui achètent le plus l’art en Algérie. Je ne sais pas ce qu’il en est à l’étranger.

Son premier amour, l’écriture

— Laurent : As-tu déjà eu envie de t’essayer à d’autres pratiques artistiques ?

— Yasmine : L’écriture a toujours été mon premier amour.

J’ai toujours écrit, j’écris toujours, j’ai des dizaines de carnets empilés sur mon bureau. Je suis encouragée, depuis plusieurs années maintenant, à faire lire mes écrits, à éditer.

Je suis maintenant autrice, via ma bande dessinée pour les enfants, « Les aventures de Petite dent », un livre qui prépare l’enfant à aller chez le dentiste. J’ai participé à un salon international du Livre, un Festival international de la BD. J’ai vu des gens, j’ai fait des ventes dédicaces, je sais comment se passe l’édition et la promotion d’un livre. C’était un réel plaisir de le faire.

Maintenant, il faudrait peut-être que je passe le cap d’un ouvrage pour les adultes 🙂

C’est quelque chose auquel je pense, auquel je travaille.

— Laurent : Qu’est-ce que tu écris ? Des romans, des nouvelles, de la poésie… ?

— Yasmine : Ce sont des pensées, ça n’a pas vraiment de structure.

Si des auditeurs ont déjà lu « Les Pensées » de Pascal, ça ressemblerait plus à ça.

Ce n’est pas continu, ce n’est pas une histoire. Comme la peinture, ce sont des jets. C’est émotionnel, c’est un vécu.

— Laurent : Comment intègres-tu l’écriture dans ton quotidien ?

— Yasmine : Je n’ai pas encore dompté l’écriture, je ne sais pas encore bien faire ça avec assiduité, ou comme je le voudrais. Ça vient tout seul. J’aimerais pouvoir faire ça d’une façon un peu plus structurée. Avec le travail et la vie réelle à côté, c’est difficile de garder beaucoup de spontanéité.

J’y pense sérieusement, je suis dans une démarche de structurer et d’écrire plus « sérieusement », d’une façon un peu plus professionnelle.

— Laurent : À part le temps et les complexités de la vie quotidienne, qu’est-ce qui t’empêche de passer le cap et d’aller voir un éditeur avec ce projet ?

— Yasmine : Comme tout dans ma vie, y compris ma participation à ce podcast, il faut que ça vienne vers moi, en général.

L’initiative vient rarement de moi, dans tout ce que j’ai fait dans ma vie. Je suis assez timide, je n’ai jamais voulu être connue ni reconnue, ma petite vie tranquille me convient très bien.

Je sors de ma zone de confort quand je me sens « obligée » de le faire, ce n’est jamais avec envie ni plaisir, dans un premier temps. Après, j’arrive à apprécier, à aimer rencontrer les gens, leur parler…

Certains disent que c’est le syndrome de l’imposteur, d’autres disent que c’est de l’humilité, de la modestie. Peu importe comment on appelle ça. J’apprécie ce que je fais, j’en suis fière, mais je ne vais jamais aller de l’avant pour le montrer ou pour en parler. Ça vient toujours vers moi et disons que je me complais dans cette situation.

— Laurent : Tu laisses le hasard faire, c’est ça ?

— Yasmine : Toujours 🙂

Les questions de la fin

— Laurent : On arrive tout doucement à la fin de cet épisode. J’ai quelques questions pour conclure.

Ses projets artistiques

— Laurent : Quels sont tes grands projets artistiques pour 2023 ? As-tu des expositions prévues, ou autre chose ?

— Yasmine : Je travaille sur une expo. Je n’ai encore ni date, ni lieu, mais j’y travaille. Je commence à cumuler un certain nombre de toiles, j’ai une thématique, un fil conducteur, ça se construit, j’espère pour l’année 2023.

Mon livre sera aussi réédité pour la troisième fois.

Ensuite, je souhaite structurer davantage l’écriture, et pourquoi pas sortir un ouvrage cette année ? Je l’espère.

— Laurent : Tu nous tiendras au courant ?

— Yasmine : Avec plaisir.

— Laurent : As-tu une exposition prévue en France ?

— Yasmine : Non, personne ne m’a contactée en France, sinon, je le ferais.

J’ai fait une toile qui s’appelle « Rue Mouffetard ». Cette rue pleine de vie, à Paris, m’a beaucoup inspirée 🙂

Tant qu’à exposer en France, s’il y a une galerie rue Mouffetard qui souhaite exposer mes toiles, je viendrais avec grand plaisir 🙂

— Laurent : Si quelqu’un tient une galerie dans la rue Mouffetard et nous écoute…

— Yasmine : Ceci est un appel 🙂

Ses conseils pour explorer sa créativité

— Laurent : Quel conseil tu pourrais donner à une personne qui cherche à explorer sa créativité, qui sent qu’elle a envie de faire des choses créatives, mais ne sait pas comment s’y prendre, ni par où commencer ?

— Yasmine : De mettre de côté toutes les questions et tous les doutes et de se lancer, d’une façon très simple et cartésienne, peu importe ce qui en découle.

La pire bêtise serait de ne pas explorer sa créativité, de ne pas entreprendre le beau voyage interne vers la connaissance de soi. On n’a jamais fini de se connaître, il faut commencer. Ça a ses bons et ses mauvais côtés. Il y a des périodes difficiles, des déceptions, mais je pense qu’il n’y a pas une pire déception, une tristesse plus grande que de ne pas explorer sa propre créativité.

L’être humain est multiple, il faudrait réussir à ne pas se cantonner dans un petit cercle en se disant qu’on ne peut pas. « Je peux », c’est ce qu’il faudrait se dire, « Je peux toujours ».

— Laurent : « Se lancer », c’est assez vague et un peu bateau. Par quoi commencer ? La première chose que tu as faite, toi, c’est d’aller acheter des pinceaux…

— Yasmine : Le processus a commencé bien avant. Il commence avec un certain questionnement. « Qui je suis ? », c’est la question fondamentale qu’on devrait tous se poser à un moment de notre vie.

C’est beaucoup de discipline. J’ai assisté à une intervention très pertinente. J’avais demandé à la personne « Comment avez-vous fait pour passer à la télé ? » La personne m’a répondu : « C’est le jour où j’ai arrêté de regarder la télé que je suis passée à la télé. »

C’est exactement la même chose pour moi. Je ne regarde plus du tout la télé depuis au moins cinq, six ans. Il faut se réveiller tôt le matin, avoir une routine, avoir de la discipline, écrire… Il faudrait commencer par faire l’inverse de ce que tout le monde fait, c’est-à-dire se réveiller, allumer la télé, regarder les infos, les réseaux sociaux, être en interaction avec le monde…

Ça demande de prendre beaucoup de recul, de se recentrer sur soi. Ça demande de la discipline tous les jours, de passer du temps avec soi-même, de réfléchir, de se poser des questions. L’inspiration et la voie se tracent toutes seules, en général.

— Laurent : C’est une approche intéressante.

— Yasmine : C’est un peu moins bateau 🙂

Son mot préféré de la langue française

— Laurent : Une de mes questions préférées : quel est ton mot préféré de la langue française, ou arabe, comme tu préfères ?

— Yasmine : Je vais te surprendre, c’est un mot anglais 🙂

— Laurent : C’est très bien aussi 🙂

— Yasmine : Le mot qui m’inspire le plus, c’est « trust ».

Il comporte différents niveaux : c’est croire en quelque chose, avoir confiance en quelque chose, mais aussi avoir confiance en soi. Toute une vie peut être guidée par une seule idée, un seul mot : je me fais confiance, je fais confiance à ma destinée, à ma vie.

— Laurent : C’est quelque chose qui te motive au quotidien ?

— Yasmine : Qui régit ma vie !

— Laurent : C’est vrai qu’en français, par exemple, on a deux mots pour dire ça.

— Yasmine : C’est pour ça que je choisis l’anglais, plutôt que le français ou l’arabe. Le sens me semble plus pertinent, me ressemble davantage.

Son coup de cœur créatif

— Laurent : Pour terminer, y a-t-il un créateur ou une créatrice que tu voudrais mettre en avant sur ce podcast ?

— Yasmine : J’y ai beaucoup réfléchi. Je reste très ouverte, tout peut m’inspirer : la nature, une personne, un enfant, un patient, une dent… Je n’ai pas de créateur qui m’inspire particulièrement, c’est plutôt la vie, mon inspiration.

Mais, si je devais parler d’un artiste que j’aime et qui a énormément de sens pour moi, qui serait le plus proche de ma vision, ce serait Matisse, le grand artiste peintre.

Matisse, de tous les artistes peintres, était le plus « normal », le seul qui avait gardé une vie de famille normale, et qui le revendiquait, surtout. Il disait que sa vie normale était très importante pour lui, pour son art et en dehors. Je trouve ça bien qu’on puisse avoir une vie « normale », une vie de famille, un travail, et quand même pouvoir passer le cap, se permettre de rêver et de réaliser des choses sans se limiter.

— Laurent : J’aime bien ta réponse 🙂

C’est vrai que la vie et la nature sont des sources de création hors norme.

— Yasmine : Les rencontres, aussi, l’être humain et sa complexité sont très inspirants 🙂

La Blouse Roumaine – Henri Matisse (1940) – Source : Wikimedia

Conclusion

— Laurent : Pour conclure, où peut-on te retrouver ?

— Yasmine : Le plus simple, c’est sur Instagram.

— Laurent : Yasmine, un grand merci de t’être prêtée au jeu du podcast.

— Yasmine : Je te remercie infiniment pour ce moment de partage, pour tes questions, pour ta bienveillance, et je te souhaite le meilleur 🙂

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