Quel est le point commun entre Jul, Claude Monet, Barbara Cartland et Thomas Edison ?

Ces personnalités créatives utilisent toutes la même technique créative : celle que l’entrepreneur/investisseur Julian Shapiro appelle le creativity faucet, que je traduirais par robinet de la créativité.

En me basant sur les réflexions de Shapiro sur le sujet, je vais décrypter son fonctionnement et te donner des pistes pour qu’il t’aide à développer ta créativité.

Qu’est-ce que le robinet de la créativité ?

Shapiro décrit le robinet de la créativité de la façon suivante :

Imagine que ta créativité est un tuyau d’eau bouché. Les premiers centimètres sont remplis d’eaux usées, qui doivent être purgées pour libérer l’eau claire.

Julian Shapiro, Creativity faucet: Increase your creativity

Si on transpose le concept à la créativité, les eaux usées sont les « mauvaises idées » (les idées les moins créatives) qu’on a au début de chaque processus créatif. Il faudra donc te libérer de ces mauvaises idées pour laisser la place aux « bonnes idées » (soit les idées les plus créatives).

Comment libérer son robinet de la créativité ?

Dans son article, Shapiro présente les mauvaises idées comme étant les clichés auxquels notre cerveau est constamment exposé. De manière plus générale, ce sont les idées les plus évidentes, celles qui nous viennent instantanément à l’esprit.

En aparté…

Personnellement, je ne parlerais pas de « mauvaise idée », mais « d’idée peu originale ». En termes de créativité, je ne pense pas qu’il y ait de bonnes ou mauvaises idées. Il y a juste des idées plus ou moins originales.

Néanmoins, pour conserver l’esprit du texte original, je continuerai à utiliser cette expression.

Une fois qu’on a fait le tri dans les mauvaises idées, les bonnes idées commencent à apparaître.

Pour Shapiro, ce phénomène s’explique par le fait que notre cerveau a identifié ce qui rendait les idées mauvaises. Avec le temps, il apprend à les reconnaître et les évite. Tu commences alors à produire plus facilement des idées originales.

Le robinet de la créativité est donc une autre façon de présenter le concept de pensée divergente, ou encore l’idée d’aller au-delà des évidences.

Selon Shapiro, cette méthode fonctionne, car il est plus facile pour notre cerveau de détecter ce qui ne va pas et de l’améliorer que de créer quelque chose de parfait du premier coup.

Pour libérer ton robinet de la créativité, il faut que tu prennes le temps de vidanger les eaux usées. En pratique cela donne :

  1. Des premières idées qui ne sont que de pâles imitations de ce qui existe déjà.
  2. Tu identifies ce qui rend ces idées peu originales.
  3. Tu itères jusqu’à ce que tu estimes que tes idées sont suffisament originales.

Cette méthode demande de la discipline et un certain recul pour pouvoir analyser ses propres idées. Le processus est alors autant – voire plus – important que le résultat et c’est lui qui mérite toute ton intention.

C’est pour cela que de nombreux créateurs et créatrices abandonnent trop tôt : ils et elles se contentent d’ouvrir un document, de griffonner quelques idées et s’attendent à avoir une idée géniale tout de suite.

Que faire de ses idées peu originales ?

Dans cette interview (en anglais) de 2016, le chanteur Ed Sheeran explique comment il utilise le robinet de la créativité :

Pour lui, il faut laisser les idées peu originales s’exprimer. Il ne faut pas les censurer.

Dans son cas, cela a donné des mauvaises chansons. L’important n’est pas la qualité de la réalisation, mais le fait d’avoir été au bout de ton idée et d’essayer de l’améliorer. Avec l’expérience, tu auras de plus en plus d’idées originales.

Comme dit le dicton : c’est en forgeant qu’on devient forgeron.

Dans cette autre interview, l’auteur-compositeur-interprète John Mayer explique comment il se débarrasse des eaux usées. Quand on lui demande ce qu’il fait en premier quand il prend une guitare pour composer, il explique qu’il joue un air, n’importe lequel, et qu’il fredonne tout ce qui lui passe par la tête.

Il insiste sur l’importance de chanter à haute voix. Selon lui, si on ne libère pas nos idées sur le champ, on perd son temps.

Il prend alors une guitare et se met à chantonner en direct tout ce qui lui passe par la tête. Même des choses aussi banales que :

Sunlight is beating on the corners of the walls (le soleil frappe les coins des murs) […]
Staring at the corner of the wall (je regarde le coin du mur)
Trying to get going on (j’essaye de continuer)

Cela demande énormément de courage pour lever tous les filtres mentaux et de livrer des banalités comme cela.

D’après sa fiche Wikipédia, c’est un artiste qui a vendu plusieurs dizaines de millions de disques dans le monde. Il est donc rodé aux interviews et ce n’est probablement plus un problème pour lui de lâcher prise en direct. Mais, il est fort probable que, comme de nombreux artistes, il ait commencé seul dans sa chambre.

Une fois tes idées peu originales libérées, tu as plusieurs solutions :

  1. les laisser s’évaporer ;
  2. les noter dans un coin, au cas où ;
  3. les exploiter jusqu’au bout, quitte à produire des œuvres moins créatives.

De nombreuses personnalités créatives ont opté pour la troisième option.

Ainsi, Claude Monet a peint plus de 1980 toiles au cours de sa carrière, Barbara Cartland a publié plus de 700 romans et Thomas Edison a déposé 1093 brevets. Plus récemment, on pourrait citer le rappeur Jul qui publie plusieurs albums par an.

Malgré le talent de ces créateurs, il est très probable qu’e de nombreuses créations qu’un grand nombre de leurs créations soient peu originales et moins abouties que d’autres.

Le chanteur Eminem ne cache d’ailleurs pas sa préférence pour le processus plutôt que pour le résultat :

If I had a choice between being the best rapper or making the best albums, I’d rather be the best rapper.
That’s how I rap, to be the best rapper.
Obviously, all of that is subjective, and everybody’s got their favorite rappers, but in my head, I would rather do that than just make good songs.

Eminem dans une interview pour le magazine XXL (en anglais).

Traduction :

Si j’avais le choix entre être le meilleur rappeur ou faire les meilleurs albums, je préfèrerais être le meilleur rappeur.
C’est comme cela que je rappe : pour être le meilleur.
Bien sûr, c’est subjectif, et tout le monde à ses rappeurs favoris, mais dans ma tête, je préfère cela à juste faire de bonnes chansons.

Faut-il privilégier la quantité à la qualité ?

Le nombre impressionnant d’œuvres créées par ces artistes m’amènent à me poser la question suivante : en termes de créativité, faut-il privilégier la quantité à la qualité ?

Pendant longtemps, j’ai cru que non, avant de vraiment me pencher sur la question et de découvrir que la qualité vient de la quantité.

Bien sûr, ce n’est pas une science exacte et la quantité n’amène pas nécessairement la qualité.

Dans son essai pour le New York Times « Can a novelist be too productive ? » (en anglais), l’écrivain Stephen King dresse une liste de romanciers et de romancières qui ont écrit plusieurs centaines de romans dont l’immense majorité est aujourd’hui tombée dans l’oubli.

De plus, la notion de qualité est subjective et ne saurait être mesurée que par le succès d’une création.

Qu’est-ce qu’une bonne idée ?

Jusqu’ici, nous avons vu comment se débarrasser des mauvaises idées, mais cela ne nous explique pas comment identifier les idées les plus originales.

Julian Shapiro introduit ici un nouveau concept : la juxtaposition. Il utilise ce terme pour désigner la combinaison répétée d’idées sans liens entre elles, afin de voir ce que cela donne.

Si ces combinaisons inattendues s’accordent parfaitement entre elles, cela crée quelque chose d’inédit. L’audience est alors captivée par ce contraste.

Voici une illustration du concept de juxtaposition :

Dans cette vidéo (en anglais), le chanteur Paul Simon (de Simon & Garfunkel) explique le processus qui l’a mené à créer une de ses chansons les plus populaires « Bridge over troubled water ».

Tout commence par une mélodie qu’il a en tête, à laquelle il ajoute des chœurs repris d’un morceau de Jean-Sébastien Bach. Puis, alors qu’il est coincé et n’arrive pas à finaliser sa chanson, il trouve l’inspiration qui lui manque dans un chant gospel. Enfin, le titre lui est inspiré par une rime d’une autre chanson.

La juxtaposition consiste donc à aller chercher des idées et de l’inspiration dans des domaines très variés.

Shapiro explique que la juxtaposition implique de ne pas créer ce que l’on aime, mais ce que l’on aurait aimé que les autres créent, car c’est là qu’est l’originalité.

La distinction est parfois subtile, mais cruciale. Selon lui, créer ce que l’on aime est le meilleur moyen d’aboutir à quelque chose de fade. À l’inverse, si on essaye de repousser les limites de son domaine, c’est là qu’on devient réellement créatif.

Je suis assez en phase avec cette vision, à laquelle je rajouterais deux points :

  1. Repousser les limites de son domaine demande un courage énorme, que toutes les personnalités créatives n’ont pas.
  2. Créer ce que l’on nous dit de créer ou ce que l’on attend de nous est aussi un bon moyen de manquer d’originalité (cf. les feuilletons de Noël ou l’immense majorité des publications LinkedIn).

Pour s’entrainer à la juxtaposition, il propose le petit exercice de pensée suivant : regarde un film que tu aimes et fais une pause au milieu du film. Demande-toi alors quelle serait, à tes yeux, la seconde moitié la plus époustouflante et essaye de l’imaginer.

L’originalité est-elle toujours nécessaire ?

Julian Shapiro conclut son article en posant cette question cruciale et donne ce conseil : ne laisse pas la recherche de l’originalité nuire au process.

Il estime qu’il y a un but encore plus important que l’originalité : la résonance. Il présente la résonance comme une narration à laquelle on peut s’identifier et qui oblige le spectateur à se confronter à l’idée proposée.

Pour illustrer son propos, il prend l’exemple du film Gladiator. Le sujet traité n’est pas nouveau et l’histoire n’a rien d’original. Ce qui en a fait un tel succès, c’est la façon dont elle est racontée. Selon Shapiro, raconter des histoires qui résonnent pour ton audience l’emporte sur l’originalité de celles-ci.

L’objectif ultime est alors de trouver des idées originales qui résonnent. Me vient alors en tête l’exemple du film « Astérix et Obélix : mission Cléopâtre » d’Alain Chabat. Ce film est culte, car il met en scène une histoire d’une façon originale tout en résonnant avec son époque et son public.

Bien sûr, la résonance n’est pas spécifique au cinéma, même si elle est probablement plus facile à atteindre avec un film ou un livre qu’avec un plat de cuisine, une découverte scientifique ou une sculpture.

Le robinet de la créativité : une solution miracle ?

Envisager le processus créatif comme un robinet, qu’il est nécessaire de purger est une analogie très intéressante pour encourager la production créative.

En favorisant le processus, elle permet de se libérer de la pression du résultat et évite la peur de la page blanche.

Toutefois, comme le souligne Bill Watterson, le créateur de la bande dessinée Calvin et Hobbes, l’état d’esprit est également important :

— Calvin : La créativité ce n’est pas comme ouvrir un robinet. Il faut l’humeur adéquate.

— Hobbes : Et quelle est cette humeur ?

— Calvin : La panique de dernière minute.

Si tout le monde n’a pas besoin d’être dans l’urgence pour être créatif, l’humeur joue effectivement un rôle essentiel dans la créativité.

Est-ce que ce concept te parle ? Quelles sont tes astuces pour libérer ta créativité ?
N’hésite pas à m’en faire part en commentaire.

Cet article peut contenir des liens affiliés.
Ces derniers n’influent pas sur la qualité du contenu ni sur la ligne éditoriale de ce site. Ils m’aident simplement à le faire vivre et à le développer. Ils sont identifiés par un astérisque ou par un traitement visuel spécifique. En savoir plus.